La Guerre de Cent Ans en Palestine : L’acquisition du livre de Khalidi par Biden suscite la controverse

Par Mouloud Benzadi

L’image du président Joe Biden quittant une librairie avec un exemplaire de La guerre de Cent Ans contre la Palestine de Rashid Khalidi a suscité des critiques tant chez les partisans pro-israéliens que pro-palestiniens. Le New York Post l’a qualifiée de « l’ultime insulte », tandis qu’Ismail Khalidi, le fils de l’auteur, a condamné les actions de Biden, le qualifiant de « maniaque génocidaire ».

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Publié pour la première fois en 2020, le livre est resté un best-seller pendant 39 semaines. Il offre un compte rendu détaillé de la lutte palestinienne contre l’occupation israélienne, en se concentrant sur six événements clés ayant marqué l’histoire mouvementée de la région.

Les graines de la dépossession

Dans le premier chapitre, « La première déclaration de guerre, 1917-1939 », Rashid Khalidi analyse comment l’endossement formel par la Grande-Bretagne d’un « foyer national pour le peuple juif » en Palestine – énoncé dans la Déclaration Balfour du 2 novembre 1917 – a marqué le début de la dépossession systématique de la population arabe autochtone. Sous le mandat britannique, cette politique a favorisé la transformation de la Palestine, alors à majorité arabe, en la base d’un futur État à majorité juive. Khalidi examine les promesses contradictoires faites par la Grande-Bretagne aux Arabes et aux sionistes, ses tactiques de « diviser pour régner » qui ont miné l’unité palestinienne, ainsi que la répression brutale de la Grande Révolte arabe de 1936-1939. Ces développements, combinés aux difficultés rencontrées par la direction palestinienne pour organiser une résistance efficace, ont jeté les bases des bouleversements démographiques et territoriaux ayant conduit à la Nakba de 1948.

La naissance d’un conflit

Dans le deuxième chapitre, Khalidi offre une analyse approfondie des événements clés de 1947 et 1948 qui ont remodelé la région et défini les contours du conflit israélo-palestinien. Il explore l’adoption par les Nations unies du plan de partage, qui proposait de diviser la Palestine en deux États distincts, l’un juif et l’autre arabe. Alors que la direction juive a accepté cette proposition, les Arabes palestiniens l’ont fermement rejetée, y voyant une grave injustice envers leur majorité démographique et leurs aspirations à la souveraineté. Le chapitre dépeint avec force la violence et le chaos ayant suivi le retrait britannique, menant à la création de l’État d’Israël et à la guerre arabo-israélienne qui s’en est ensuivie. Khalidi décrit de manière poignante l’impact catastrophique sur la population palestinienne, mettant en lumière le déplacement massif de 700 000 Palestiniens, un exode tragique connu sous le nom de Nakba. Il insiste sur la manière dont ces événements ont enraciné des divisions profondes et jeté les bases de décennies de conflit, faisant de ce chapitre un passage essentiel pour comprendre les origines de l’un des conflits les plus longs de l’histoire contemporaine.

La Guerre des Six Jours

Dans « La troisième déclaration de guerre, 1967 », Khalidi analyse les événements clés de la Guerre des Six Jours et leur impact profond sur les Palestiniens et la région. Il décrit les principaux incidents ayant précédé le conflit, notamment la fermeture des détroits de Tiran par l’Égypte le 22 mai 1967 et la mobilisation des armées arabes qui s’ensuivit. Le 5 juin 1967, Israël a lancé une frappe aérienne préemptive, infligeant une défaite écrasante aux forces combinées de l’Égypte, de la Jordanie et de la Syrie en seulement six jours. Cette guerre a conduit à l’occupation par Israël du Sinaï, de la bande de Gaza, de la Cisjordanie et du plateau du Golan, marquant une expansion territoriale spectaculaire. Khalidi met en lumière les frustrations des groupes palestiniens, comme le Fatah, qui ont lancé une guerre de guérilla en réponse à l’échec des États arabes. Il critique également la résolution 242 du Conseil de sécurité des Nations unies, qui a présenté le conflit comme une question entre États, tout en ignorant les droits fondamentaux des Palestiniens.

L’invasion du Liban en 1982

Dans “La quatrième déclaration de guerre”, Khalidi examine l’invasion israélienne du Liban en 1982, un moment pivot pour la cause palestinienne. L’invasion a commencé par un bombardement aérien massif de Beyrouth le 4 juin, suivi d’un siège brutal de Beyrouth-Ouest du 6 juin au 12 août, faisant plus de 19 000 morts, dont de nombreux civils. Sous la pression internationale, l’OLP a été forcée d’évacuer Beyrouth malgré les assurances américaines de sécurité des civils. Cette évacuation a été suivie des massacres de Sabra et Chatila (16-18 septembre), au cours desquels des milices phalanges soutenues par Israël ont tué plus de 1 300 civils palestiniens – une atrocité qui reste une tache sur le bilan d’Israël. Khalidi critique la violence indiscriminée de l’invasion, la complicité des États-Unis dans le soutien à Israël et l’incapacité de la communauté internationale à réagir efficacement. Il souligne également la résilience du peuple palestinien, notant comment le conflit a ramené l’attention du mouvement palestinien vers les territoires occupés et a favorisé l’émergence de groupes comme le Hezbollah. 

La Première Intifada et les Accords d’Oslo

Dans « La cinquième déclaration de guerre », Khalidi explore la période transformatrice de 1987 à 1995, marquée par la Première Intifada et les Accords d’Oslo. L’Intifada, déclenchée en décembre 1987 après la mort de quatre Palestiniens dans un accident à Gaza, s’est rapidement muée en soulèvement populaire contre l’occupation israélienne. Dirigée par la Direction Unifiée Nationale, elle a mobilisé largement, incluant femmes et jeunes, à travers manifestations et désobéissance civile. La répression brutale menée par Yitzhak Rabin début 1988 a provoqué une condamnation internationale, changeant la perception mondiale du conflit.

Les Accords d’Oslo de 1993, avec la reconnaissance mutuelle entre Israël et l’OLP, ont marqué un tournant. Pourtant, Khalidi estime que ce processus a renforcé l’occupation, empêchant la souveraineté palestinienne et confinant l’Autorité palestinienne à un rôle subordonné au contrôle israélien.

La lutte palestinienne de 2000 à 2014

Dans « La sixième déclaration de guerre », Khalidi propose une analyse percutante des années 2000 à 2014, marquées par le désenchantement palestinien après l’espoir suscité par les Accords d’Oslo. Il explore l’éclatement de la Seconde Intifada, déclenchée par la visite controversée d’Ariel Sharon à l’Esplanade des Mosquées, qui a dégénéré en violences massives, causant de lourdes pertes palestiniennes et une recrudescence de la résistance armée. Khalidi dénonce l’échec du Sommet de Camp David de 2000 à répondre aux préoccupations palestiniennes, ce qui a encore détérioré les relations entre l’OLP et Israël.

La venue tardive du sionisme et la survie de la Palestine

Khalidi conclut son ouvrage en affirmant que, malgré le soutien des États-Unis et de la Grande-Bretagne, le mouvement sioniste est arrivé trop tard pour éliminer le peuple palestinien. Il cite Eqbal Ahmad : « Août 1947 a marqué le début de la décolonisation avec la fin du règne britannique en Inde. C’est à cette époque d’espoir que la colonisation de la Palestine a eu lieu. Ainsi, à l’aube de la décolonisation, nous avons été confrontés à la forme la plus ancienne et intense de menace coloniale. » Khalidi explique qu’en d’autres temps, comme aux XVIIIe ou XIXe siècles, « remplacer la population indigène aurait pu être possible, si les Palestiniens avaient été aussi peu nombreux que les colons sionistes ou décimés comme les peuples autochtones d’Australasie et d’Amérique du Nord. » Il cite aussi Tony Judt : « Le problème avec Israël n’est pas qu’il soit une ‘enclave’ européenne, mais qu’il est arrivé trop tard. Il a importé un projet séparatiste du XIXe siècle dans un monde régi par les droits individuels et le droit international. L’idée d’un ‘État juif’, où Juifs et judaïsme ont des privilèges exclusifs, appartient à une autre époque. »

* Auteur, critique et chercheur (Royaume-Uni)

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