Cinéma : « Le Bleu de Caftan » triomphe à l’international

Une scène du film qui a conquis un public mondial...

Le film « Le Bleu du Caftan » de Maryam Touzani a réussi la prouesse de dépasser les 500.000 entrées, au-delà des frontières nationales, dépassant ainsi le précédent record, pour un film marocain, établi par « Much Loved », de Nabil Ayouch…Révélations.

Est-ce grâce au tabou de l’homosexualité que le film a autant percé ?! La réponse est non! Absolument pas ! Nous avons vu le film, à plusieurs reprises d’ailleurs, et en dehors de quelques scènes, surtout en début de film, des scènes qui peuvent s’avérer «dérangeantes» (peut-être pas pour tous), notre rédaction trouve que cette œuvre est… magistrale! C’est l’histoire d’un drame centré sur l’amour entre un homme plutôt renfermé, sa femme, et un apprenti qu’ils engagent dans leur boutique de création de caftans. Halim, l’époux, est maître artisan. Et l’acteur qui joue son rôle, Saleh Bakri, Palestinien, est absolument phénoménal. C’est un film des plus émouvants et des plus profonds, qu’il convient de voir, si on peut. On y découvre, entre de très nombreuses choses, une sublime complicité entre le mari et son épouse, en des temps tragiques, puis entre les trois principaux personnages réunis (les deux autres étant incarnés par Lubna Azabal et Ayoub Missioui (tous deux Marocains). A noter que Lubna Azabal avait incarné le rôle principal de l’un des meilleurs films de tous les temps, jusqu’à présent, selon le fameux classement IMDB, en l’occurrence le film Incendies, qu’il faut également voir et revoir, et qui traite de sacrés tabous également, c’est le moins qu’on puisse dire.
Par contre, au contraire de ce qu’on pourrait penser, Le Bleu du Caftan n’est pas un film centré sur un quelconque coming out ou une volonté d’affirmer son homosexualité devant la face du monde, ni sur des passions torrides comme le fabuleux Le Secret de Brokeback Mountain. Nous trouvons que c’est tout le contraire, rien de vraiment choquant ou rebutant, car le personnage masculin principal, Halim, s’efforce de garder le secret, eu égard au conservatisme de la société dans laquelle ils vivent, une ancienne médina. Saïd El Mazouari, critique de cinéma, nous conforte dans notre position quand on lui demande si l’effet buzz/polémique y est pour quelque chose dans le triomphe de ce film : « Bien entendu, l’approche thématique y est pour quelque chose, étant donné qu’elle constitue un volet essentiel dans la proposition d’un film au côté de l’approche dramatique et de l’approche esthétique. Ça ne relève pas nécessairement d’opportunisme à mon avis. D’ailleurs le film ne fait aucunement dans la provocation. Il interpelle plutôt par la force avec laquelle la réalisatrice approche un sujet tabou avec un geste sobre et très humaniste dans le fond, qui invite à repenser le regard que porte la société marocaine sur des sujets comme les minorités sexuelles et le droit de vivre sa différence ». Yasmine Bouchfar, également critique de cinéma, est du même avis : « Bien que la sensibilité du sujet puisse être un élément attractif, la réussite d’un film à l’international dépend de nombreux facteurs, dont la qualité artistique, l’universalité du thème, la participation à des festivals, et une stratégie marketing bien pensée ».
Avec une quarantaine de prix internationaux jusqu’à présent, dont le Prix FIPRESCI de la Critique internationale lors du Festival de Cannes 2022 et le Prix du jury au Festival international du film de Marrakech 2022 (pour un film qui traite d’homosexualité !), en plus d’avoir été le premier film marocain à être sélectionné parmi les 15 meilleurs films étrangers aux Oscars, Le Bleu de Caftan ne cesse d’étonner.

Des prix à la pelle !

A ce propos, Saïd El Mazouari nous révèle: « Si le film a remporté autant de récompenses c’est premièrement pour la force de son propos, la maîtrise dont a fait preuve sa réalisatrice Mariam Touzani et les prestations poignantes de son trio d’acteurs. Notamment Saleh Bakri dans le rôle de Halim ». Quant à Yasmine Bouchfar, elle parle de recette secrète : « La reconnaissance internationale des films de Maryam Touzani, peut être attribuée à la qualité artistique de ses œuvres, à la pertinence universelle de ses thèmes et à la façon dont elle offre un regard authentique sur la société marocaine ». Plusieurs morales peuvent également être déduites de ce film, comme nous le démontre Yasmine : « Ce genre d’histoires ont des morales particulières, qui sont les suivantes : la tolérance et l’acceptation, la fidélité et la loyauté, la compassion face à la maladie, la rédemption et le pardon, la célébration de la diversité culturelle et la beauté dans l’art manuel ». Célébration de la diversité culturelle ? « En mettant en avant le travail artisanal traditionnel dans la confection de caftans, informe Yasmine, le film célèbre la richesse de la diversité culturelle marocaine. Il souligne l’importance de préserver et de valoriser les traditions tout en évoluant dans une société en mutation ». En effet… En effet… Et pour la beauté dans l’art manuel, Yasmine détaille également: « L’appréciation de la beauté du travail artisanal traditionnel, illustrée par la confection du caftan bleu, renforce la valeur de l’art manuel et de la préservation des techniques traditionnelles dans un monde de plus en plus axé sur la modernité ». Bien dit et bien pensé, Yasmine!

Et le PJD, bien sûr ! Le PJD !

On ne peut bien sûr pas parler de ce qui touche aux mœurs, de près ou de loin, sans que le PJD ne s’en mêle. Tout juste deux semaines après sa sortie en salles, au Maroc, le temps pour quelques-uns de leurs membres de libérer un créneau dans leur agenda et d’aller à contrecœur voir de quoi il retourne, selon toute vraisemblance, le PJD n’y est bien sûr pas allé de main morte et a demandé l’interdiction du film. Rien que ça ! C’est le contraire qui aurait été étonnant. A en croire le secrétariat général du parti, qui  a diffusé un communiqué de presse à l’occasion , le film de Maryam Touzani constitue « une violation grave des constantes religieuses de la nation ». Le parti  islamiste explique que le Bleu du Caftan est « un film qui fait la promotion de l’homosexualité, en violation grave des constantes religieuses de la nation, des valeurs morales et éducatives du peuple marocain musulman ». C’est vrai qu’il y a des parties quelque peu gênantes, surtout au début du film, comme nous le reconnaissons nous-mêmes plus tôt, mais rien de vraiment sexuel (ou peut-être dévoilement subtil), et puis promotion ? Promotion?! C’est tout l’inverse… Vous êtes sûrs d’avoir terminé le film ?!
Bref, les chiffres parlent d’eux-mêmes! Dans les 30 pays où il est distribué, et dans plus de 1.300 salles qui l’ont proposé, Maryam Touzani, avec Le Bleu du Caftan, a établi un record, devançant le précédent record établi par Nabil Ayouch, son mari pour info, grâce lui à Much Loved. Les chiffres de CBO Box-Office et Unifrance : 214.000 entrées en France, 58.000 entrées aux Pays-Bas, 37.000 entrées en Italie, 35.000 entrées en Espagne, 24.000 entrées au Japon, 21.000 entrées en Belgique, 17.000 entrées en Grèce, 16.000 entrées en Suisse, entrées 15.000 en Allemagne, 15.000 entrées au Danemark et 13.000 entrées en Australie, entre autres. A savoir que sur le système de rating de l’IMDB Le Bleu du Caftan obtient une note de 7,6/10 (NDLR : à partir de 6, c’est un très bon film mais passé 7 on parle d’excellence, et même de maestria !). 0,1 de moins que Le Secret de Brokeback Mountain, de Ang Lee, avec le défunt Heath Ledger et l’excellent Jake Gyllenhaal, qui a obtenu une note de 7,7/10. Faut le faire ! Pour dire les choses autrement: nous vous recommandons de le voir, même si vous pensez que vous n’aimerez pas à cause du sujet qu’il traite ! Oui, même si… Et là est la vraie, l’ultime prouesse !

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