Nouvelle réforme de la Moudawana : Des avancées et des craintes…

Le projet de réforme du code de la famille-Moudawana- dont le ministre de la Justice Abdellatif Ouahbi a dévoilé le mardi 24 décembre 2024 les avancées majeures ne va pas passer comme une lettre à la poste lors de sa présentation au Parlement pour approbation. Et pour cause…

Laila Lamrani

Ayant reçu un accueil mitigé aussi bien des associations féministes que des milieux conservateurs, le nouveau texte- sa première révision remonte à 2004- a déchaîné de vives critiques sur les réseaux sociaux. Les points qui ont cristallisé l’irritation se rapportent essentiellement au partage des biens acquis durant le mariage avec une valorisation du travail domestique de l’épouse et à la sortie du domicile conjugal de l’actif successoral qui permet surtout à la veuve, en cas du décès du mari, de ne pas être expulsée de chez elle par les héritiers.

Autres revendications féminines essentielles satisfaites par la nouvelle réforme, la possibilité pour la femme divorcée de se remarier sans perdre la garde des enfants qui appartient désormais aux deux époux pendant le mariage et après le divorce. Autant d’acquis qui protègent la femme en la confortant dans son statut de partenaire à part entière après avoir été longtemps considérée comme un être mineur bon à être soumis au diktat masculin.

Mais il ne suffit pas d’édicter des lois pour changer la réalité. Justement, la moudawana ne fait pas exception, qui se heurte aux poches de résistance et surtout au déficit dans le domaine socio-educatif. La moudawana a le mérite d’exister, c’est une plate-forme juridique essentielle, mais il n’en reste pas moins que cela ne sert à rien d’aller plus vite que la musique, le changement des mentalités ne se décrétant pas et n’étant pas non plus affaire de loi fussent-elles les plus modernes, l’évolution tant attendue est intimement liée à la capacité de la société de marquer des points dans le domaine de l’éducation où le Maroc cumule bien des déficits et des ratages. L’analphabétisme et l’ignorance, conjugués au dénuement et aux inégalités qui frappent encore des pans importants de la population, agissent comme un frein à toute véritable évolution de la cause des femmes. 

L’évolution des conditions socio-économiques de la majorité des citoyens dans le Maroc des villes et surtout des campagnes où la femme ne jouit pas encore de ses droits les plus élémentaires est seul à même de lui donner la place qui lui revient au sein de la société avec tout le respect et la considération dus au partenaire de l’homme.

Il est vrai que le niveau de vie des Marocains en général a évolué au cours de deux dernières décennies mais force est de constater que la faiblesse des salaires dans un contexte de vie chère qui est le lot des populations rivées en bas de l’échelle est source de discrimination pour les femmes surtout si elles ne sont pas indépendantes économiquement.

Les divorces dans les milieux défavorisés tournent à un drame encore plus poignant en ce sens que le mari est obligé de payer de son salaire dérisoire, insuffisant pour couvrir ses propres besoins, une pension pour sa femme et ses enfants ! Les juges des tribunaux de la famille croulent sous ces dossiers qui en disent long sur l’insuffisance des textes en l’absence d’une cuirasse, matérielle et éducationnelle, à la fois de l’homme et de la femme.

Le grand défi réside donc dans la capacité des gouvernants à agir sur le réel pour le changer. A commencer par celui de la fille rurale que ses parents continueront à vouloir marier pour des raisons économiques à un âge précoce quand bien même la Moudawana de 2004 a fixé la capacité matrimoniale à 18 ans. Les militants associatifs ont accusé l’article 20, en appelant à son abrogation, qui donne au juge de la famille toute latitude à autoriser le mariage d’une mineure avant l’âge de la majorité légale. Mais le problème est plus complexe qu’il n’y paraît. En cause, la réalité de ce monde rural où les conditions sociales de la fille en particulier et de la femme en général sont très peu reluisantes. Une réalité à laquelle le juge de la famille tente de s’adapter à défaut de pouvoir l’ignorer… Dans le Maroc des campagnes, les filles sont souvent considérées comme une charge dont il faut se débarrasser en les mariant le plus tôt possible souvent contre leur gré. D’ailleurs, 74,3% des mariages en dessous de l’âge légal émanent de familles où la décision revient au père. Or, il est incontestable que la place naturelle d’un enfant, fille ou garçon, se trouve à l’école comme le confirme l’échec, démontré par une série d’études et d’enquêtes, de la majorité des mariages précoces.

Pour que cette évolution juridique (la suppression de l’article 20) produise l’effet escompté que les décideurs œuvrent sur le terrain pour l’épanouissement de la fille rurale. Comment ? en lui garantissant un droit fondamental dont une bonne partie continue à être privée malgré les efforts entrepris : l’accès à l’éducation dans des conditions optimales. L’instruction, c’est connu, est le seul moyen pour lutter contre les mariages précoces, permettre aux femmes d’accéder à des emplois décents, améliorer leur pouvoir décisionnel et sortir les campagnes de la précarité qui les frappe. En 2020, pas moins de 13.000 dérogations sur près de 20.000 demandes déposées ont été accordées pour marier des filles mineures. Encore que ces statistiques ne représentent que la face visible de l’iceberg en raison de la persistance du mariage coutumier par simple « Fatiha » qui continue à être contracté en dehors de la voie légale. Tant que persistera la non-scolarisation de la fille rurale conjuguée au sous-développement des campagnes, les mariages par « la Fatiha » tout comme la pauvreté rurale, ne seront pas éradiqués.

La nouvelle refonte de la Moudawana survient dans un contexte de recul de la natalité redevable surtout à des facteurs surtout économiques ( peur de l’avenir, érosion du pouvoir d’achat, etc). L’appréhension suscité par certaines dispositions de la nouvelle Moudawana est de nature à aggraver ce recul démographique en poussant de moins de Marocains à se dire « oui». Le chômage galopant des jeunes, la vie chère et la difficulté de trouver un toit décent à un prix correct sont des facteurs dissuasifs pour fonder une famille surtout en milieu urbain.Un problème qui ne semble pas préoccuper le gouvernement qui croit pouvoir transformer le pays par la seule magie des nouvelles lois.

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