Ancien proche collaborateur de Ziad Takieddine par qui les ennuis judiciaires de Nicolas Sarkozy sont arrivés, ce franco-marocain est un témoin-clé que la justice ne s’est pas bizarrement empressé d’entendre. Révélations.
Abdellah Chankou
Serait-il «le témoin encombrant à écarter à tout prix de l’instruction» de l’affaire du «financement libyen» de la campagne présidentielle de Sarkozy de 2007 ? Le franco-marocain El Mahfoud Ladib, natif de Tafraout, veut dénoncer des faits notables, étayés par des preuves, sur ce dossier politiquement et médiatiquement retentissant, non dénué toutefois de zones d’ombres. A commencer par celle-là et elle a de quoi laisser songeur : la non-convocation par la justice de M. Ladib alors qu’il est un témoin-clé de la fabrication de la fameuse «note libyenne» à l’origine du procès en question, ouvert jusqu’au 10 avril, où Nicolas Sarkozy est poursuivi pour corruption, recel de détournement de fonds publics, financement illégal de campagne et association de malfaiteurs. Pour M. Ladib, ce document, sur lequel a été construite toute l’accusation dirigée contre l’ex- président français, est un faux fabriqué de toutes pièces par l’intermédiaire franco-libanais Ziad Takieddine, en fuite au Liban depuis décembre 2020, l’homme de tous les dossiers troubles du pouvoir politique français dont la fameuse affaire Karachi.
M. Ladib sait de quoi il parle parce qu’il était un proche collaborateur de M. Takieddine jusqu’en novembre 2012. Ce qui en fait un homme-ressource de premier plan. C’est à ce titre qu’il se confie pour la première fois en juillet 2019 dans un témoignage fracassant au Journal du Dimanche (JDD) qui met en doute l’authenticité de ce document. Un document publié le 28 avril 2012 par le site Mediapart en le présentant comme une « note issue des archives des services secrets » libyens. La date de publication, le 28 avril 2012, n’est pas anodine. Elle coïncide avec l’entre-deux-tours de l’élection présidentielle, qui sera remportée par le candidat socialiste François Hollande. Le timing est-il fortuit ? En tout cas, on est fortement tenté de penser que la charge contre M. Sarkozy consignée en langue arabe sur un document « officiel » de la république libyenne a surgi au bon moment pour discréditer M. Sarkozy et le faire perdre. Une question se pose d’emblée : Sommes-nous en face d’une machination politico-médiatique ciblant l’ex-président français ?

Nicolas Sarkozy.
Sans aller jusqu’à répondre par l’affirmative, M. Ladib confirme au Canard Libéré ce qu’il a déclaré au JDD: «Je suis formel : l’un de ces documents [en possession de M. TAkieddine] était celui qui a été publié après par Mediapart, où il était question de 50 millions d’euros » remis par Mouammar Kadhafi à Sarkozy ». Il ajoute : « Je ne sais pas si M. Sarkozy a touché de l’argent libyen ou pas mais ce dont je peux témoigner en mon âme et conscience c’est que le papier ayant été à l’origine de son procès est un faux». Dans son récit, truffé de faits, de dates et de noms, qu’il déroule avec les accents de la sincérité, notre interlocuteur rapporte une phrase jubilatoire prononcée le soir de la victoire de M. Hollande par M.Takieddine, l’homme par qui tout cela est arrivé : «J’ai tué Nicolas Sarkozy !». Troublant quand même! Après sa sortie dans le JDD qui fragilise la thèse de Mediapart tricotée par un journaliste du nom de Fabrice Arfi, M. Ladib sera convoqué et entendu à deux reprises, le 25 septembre 2019 et le 11 juin 2020, par le commandant de police judiciaire Frédéric Vidal, rattaché à la section centrale de lutte contre la corruption.
Mais quelle ne sera sa surprise en apprenant que son audition qui a duré 7 bonnes heures a été réduite à une dizaine de lignes « dévalorisantes » dans l’ORTC (l’ordonnance de renvoi devant le tribunal correctionnel), grosse de 557 pages. Plus étonnant encore, cette ordonnance lui a prêté des propos inexacts comme son refus « de communiquer l’identité des seules personnes susceptibles de confirmer ses déclarations » ou le fait de suggérer « à demi-mots que Ziad Takieddine aurait pu être le concepteur » [ de la fameuse note attribuée aux autorités libyennes]. C’est faux, s’est écrié El Mahfoud Ladib. « J’ai déclaré au commandant Fréderic Vidal que Me Gilles Beres, tout comme l’assistante de M.Takieddine, Marie de Bayser, était informé dès avril 2012 de l’existence du faux». Fait troublant, les deux personnes décèdent dans des circonstances mystérieuses. Avocat personnel de François Hollande qui basculera plus tard dans l’entourage de Takieddine, Me Beres rend l’âme soudainement le 24 décembre 2019, à l’âge de 49 ans, tandis que Mme de Bayser qu’il a introduite dans le circuit socialiste meurt quelques années plutôt dans un incendie qui a ravagé son chalet… !!! « Un autre témoin, susceptible de confirmer ma version des faits, n’a pas été auditionné alors que j’ai révélé son nom au commandant Frédéric Vidal, se désole M. Ladib. Il s’agit de Jomode Elie Getty «que connaissent très bien le commandant Frédéric Vidal et le journaliste de Mediapart Fabrice Arfi et son confrère Karl Laske», «familiers tous les deux [M. M Arfi et Laske] de sa résidence bondée d’archives libyennes dans le 15ème arrondissement de Paris».
Comme sa plainte, où il a exposé tous ces faits, déposée le 31 mai 2024 auprès de la procureur de la république, Laure Beccuau, n’a pas eu de suite, El Mahfoud Ladib a demandé à être entendu devant et par la présidente de la 32ème chambre correctionnelle de Paris, Nathalie Gavarino. Le 13 janvier 2025, il a adressé à la magistrate, en courrier recommandé avec accusé de réception et directement au service d’accueil unique du justiciable (SAUJ), un paquet de preuves «sur sa proximité avec Ziad Takieddine» et les circonstances de la fabrication de la fameuse note libyenne, dont la «tentative de corruption de 200.000 dollars (payables a l’étranger) par Ziad Takieddine à Jomode Elie Getty pour qu’il confirme l’authenticité du faux auprès des journalistes de Mediapart». Le témoin-clé franco-marocain, qui a accompagné son dossier d’une longue lettre où il donne des pistes intéressantes sur cette histoire troublante avec ses intrigues dignes d’un polar et ses ramifications politico-médiatiques, attend de pied ferme d’être entendu par les juges. C’est quand même étrange que ses avocats, Jacky Attias et Gilles William Goldnadel, n’aient pas été contactés non plus. Contacté par nos soins, Me Jacky Attias s’est dit surpris que son client n’ait pas reçu de citation à comparaître dans le cadre du procès en cours.
«Il est effectivement surprenant, nous déclare Me Attias, que El Mahfoud Ladib n’ait pas été cité à comparaître en qualité de témoin direct de l’implication de M. Takieddine dans l’existence de la «note» dite libyenne. Il était son bras droit et confident. M. El Mahfoud a longuement été auditionné sans pour autant que sa version soit remise en cause». Et de s’interroger : «y a-t-il eu des pressions ??? On peut sérieusement en douter. M. Ladib veut simplement rapporter certaines vérités et éclairer le tribunal; il reste comme il l’a toujours été à la disposition de la justice»… En effet, M. Labib dispose d’éléments probants sur la genèse de ce qui ressemble à une mécanique diabolique et sur ses (autres) témoins «de premier plan» dont il révèle pour la première fois l’identité au Canard Libéré. Il s’agit de Nadia Ceccaldi Fares qui a corroboré son témoignage au JDD sous couvert de l’anonymat.
Amnésie
A cet effet, M. Ladib fait état d’une réunion convoquée en urgence par son ex-mari Marcel Ceccaldi, avocat de Ziad Takieddine, le 15 juin 2020 à son cabinet. Un seul point à l’ordre du jour : faire pression sur son ex-épouse pour qu’elle récuse son témoignage anonyme, appuyant la thèse de M. Ladib publiée dans le JDD sous la plume d’ Hervé Gattegno. «Ont été présents lors de cette tentative de «subornation de témoin le journaliste du JDD, l’avocat de Nadia Ceccaldi et moi-même», révèle M. Ladib. Ce dernier dit détenir assez de preuves qui montrent « la complicité des liens lointains entre maître Marcel Ceccaldi, le commandant Frédéric Vidal et Fabrice Arfi». Ce « témoin encombrant » affirme que «l’alliance de ce triumvirat a permis [de passer] sous silence l’audition de Nadia Ceccaldi Fares qui a eu lieu le 6 juillet 2020». «Il est tout de même curieux, s’étonne M. Ladib, que le fin limier de Mediapart ne cite pas le nom des Ceccaldi dans ses enquêtes».
« Après les révélations sur le caractère fake de la fameuse note libyenne parue sur les colonnes du JDD, le journaliste de Mediapart, tout comme Ziad Takieddine, semble être frappé d’amnésie, prétendant ne pas me connaitre », lance M. Ladib sur un ton ironique alors qu’il dit avoir rencontré maintes fois, et ce dès 2012, l’enquêteur de Mediapart, pour lui fournir des éléments probants sur la genèse du document publié par son journal en ligne, où il est traité de « témoin bidon », « témoin miracle du JDD » et « d’atomisé de la justice » dans une tentative à peine voilée de le disqualifier et discréditer son témoignage. Ce à quoi M. Ladib a répondu en dénonçant l’operation d’étouffement de son témoignage par le «tribunal médiatique Mediapart». Désormais, fait remarquer notre témoin gênant, la note sujette à caution n’est plus citée comme référence dans les articles de Mediapart, remplacée comme par enchantement par un «pacte de corruption», qui aurait été noué par Nicolas Sarkozy, via ses proches, avec l’ex-président libyen, mort le 20 octobre 2011, en contrepartie notamment de son retour en grâce sur la scène internationale.
En fait, El Mahfoud Ladib a tout du témoin-clé qui ne devrait pas être là. Malvenu pour avoir, semble-t-il, perturbé un certain cours du dossier à charge contre M. Sarkozy, bâti autour d’un bout de papier dont l’authenticité n’a jamais été établie jusqu’à ce jour. Ce qui n’a pas empêché la justice de le prendre pour argent comptant et de s’appuyer dessus pour poursuivre celui qui est sous bracelet électronique après sa condamnation en février 2025 pour corruption dans une autre affaire. « Au-delà de ma personne, mon combat, solitaire et opiniâtre, est de faire éclater la vérité et rien que la vérité», écrit M. Ladib dans sa lettre à la présidente de la 32ème chambre correctionnelle de Paris. La lumière de la vérité finira-t-elle par jaillir des ténèbres d’un papier truqué par un personnage obscur déjà condamné par la justice française, et par conséquent, loin d’être au-dessus de tout soupçon ?
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Une note bidon ?

Attribuée au directeur de la sécurité extérieure libyenne, Moussa Koussa, la fameuse note stipulait qu’un accord avait été conclu au cours d’une réunion tenue le 6 octobre 2006, en présence de deux collaborateurs de Mouammar Kadhafi – son beau-frère Abdallah Senoussi, chef des services de renseignement, et son ex-directeur de cabinet Béchir Saleh, directeur d’un des fonds souverains libyens – ainsi que du ministre français Brice Hortefeux, un proche de Nicolas Sarkozy, et de l’homme d’affaires franco-libanais Ziad Takieddine.
