A qui profite la paralysie?

Les étudiants en médecine lors d’une action de protestation.

Alors que le spectre de l’année blanche plane sur les facultés de médecine et de pharmacie, de nombreux étudiants commencent à s’interroger sur les motivations réelles de leurs représentants.

Étudiant en troisième année de médecine à Casablanca, Mourad s’enfonce dans la déprime. La raison ? Le confinement forcé, qui commence à lui devenir insupportable à mesure que le temps passe, enfanté par la grève qui paralyse depuis le début de l’année universitaire les neufs facultés de médecine et de pharmacie du pays  (Rabat, Casablanca, Marrakech, Fès, Oujda, Tanger, Agadir, Laâyoune et Guelmim). Les parents de Mourad n’aiment pas voir leur fils unique dans cette situation  et se font du mauvais sang  pour  son avenir alors que  le spectre d’une année blanche menace.
Tel est l’état d’esprit des parents dont les enfants sont dans le même cas que Mourad. La colère a fini par céder  la place à  la résignation  face à tant de brouillard né du bras de fer entre les ministres de tutelle, l’Enseignement supérieur et la Santé,  et les représentants des étudiants autour du nombre d’années d’études  réduit de 7 à 6 ans, en vertu d’une décision prise en 2022 du ministère de l’Enseignement supérieur.  
Alors que le conflit s’enlise et s’éternise, nombre d’étudiants commencent à s’interroger  sur les véritables motivations de leurs délégués siégeant  au sein de la  Commission nationale des étudiants en médecine, médecine dentaire et pharmacie du Maroc (CNEM). Ces derniers défendent-ils vraiment les intérêts des étudiants comme ils le prétendent  ou bien roulent-ils pour  des milieux aux objectifs inavoués dont ils servent l’agenda politique ?  De Casablanca à Rabat en passant par Fès et Oujda…,  les étudiants comme dans un sursaut tentent de comprendre. Certains échangent sur Whatsapp les photos de leurs représentants qu’ils soupçonnent d’être affiliés au PSU de Nabila Mounib ou Al Adl Wal Ihssane, un engagement politique que la majorité des grévistes  ignoraient  jusque-là.  Ambiance…
Petit à petit, ils découvrent par un jeu de recoupements  que leurs défenseurs les menaient en bateau, leur racontaient des salades et boycottaient des réunions convoquées par les deux ministres en vue de trouver une issue satisfaisante à la crise. Les langues commencent à se délier.
« Je pense que notre représentante est une militante de l’extrême gauche », croit savoir une étudiante de la faculté de pharmacie d’ Oujda. Un étudiant en troisième de médecine à Casablanca est convaincu, quant à lui,  que l’un des représentants de grévistes roule pour Al Adl Wal Ihssane. « Son profil jeune, un peu BCBG et sans barbe est trompeur », ajoute-t-il, révélant que la position des étudiants encadrés par les militants de cette organisation interdite mais tolérée est localisée en temps réel grâce à une application installée sur leur téléphone. Un outil destiné à s’assurer qu’ils ne se rendent pas à la faculté.
Devant ce faisceau d’éléments troublants, la question se pose de savoir si les futurs médecins n’ont pas été manipulés par  leurs délégués en contribuant à la radicalisation de leur mouvement, les fourvoyant dans un bras de fer  stérile avec  le gouvernement. A qui profite l’impasse actuelle?  En tout cas, certainement pas aux étudiants qui  risquent de perdre une année à force de faire du retour au cursus de 7 ans d’études la condition de la fin de leur action. « Le nombre d’années d’études n’est pas un gage de qualité de la formation », explique Dr Said Afif qui en veut pour preuve Cuba où la durée des études en médecine est de 5 ans.

Esprits malintentionnés

« Ce qui n’a pas empêché ce pays de former de très bons médecins grâce essentiellement  aux travaux pratiques et aux stages professionnalisants », poursuit-il. Dans ce pays communiste, les futurs médecins sont en effet obligés afin de  valider leur formation  d’accomplir une année en tant qu’internes et deux années comme résidents au sein d’un établissement  de consultation ou d’une polyclinique.
Les étudiants en médecine au Maroc ont-ils fait fausse route ou plutôt une erreur de diagnostic en s’accrochant comme une moules à son rocher au nombre d’études au lieu de faire de la qualité des stages  et des apprentissages sur le terrain leur principale revendication ? Une chose est sûre: La valeur de leur diplôme n’est en rien remise en cause tant que leur formation théorique s’appuie sur une base pratique solide que les groupements territoriaux de santé (GTS), mis en place par la loi 08.22 adoptée en janvier 2023, est supposée garantir dans le cadre d’une refonte de la gouvernance sanitaire nationale. «Dans cette malheureuse affaire, le gouvernement a une part de responsabilité,  affirme de son côté  un professeur universitaire sous couvert d’anonymat. Les deux  ministres de tutelle, Abdellatif Miraoui de l’Enseignement supérieur et son collègue de la Santé Khalid Aït Taleb,  n’ont pas bien  expliqué aux étudiants et  leurs parents les points forts de la nouvelle réforme de la santé et la finalité de ramener le cursus de 7 a 6 ans ». Et d’ajouter: « cette défaillance communicationnelle n’a pas contribué à clarifier les choses et à dissiper l’inquiétude de la majorité des étudiants dont certains ont pensé que la réduction du nombre d’années d’études était dirigé contre eux pour les empêcher de s’expatrier en France où le troisième cycle, qui démarre à partir de la 7ème année, ouvre les portes de l’hôpital et de la spécialité. »
Faut-il en déduire que le mouvement de paralysie des facultés de médecine et de pharmacie a été orchestré par une poignée d’étudiants qui projettent, une fois le diplôme en poche, d’aller soigner les malades de l’Hexagone ? Tout porte à croire que les esprits malintentionnés de l’extrême gauche et de Al Adl Wal Ihsane se sont introduits dans la brèche de la communication défaillante des deux ministres pour manipuler les étudiants en les poussant à  radicaliser leur action de protestation.
Détail qui a son importance: Pourquoi  chercher à remettre en cause en 2024 une décision gouvernementale adoptée en 2022 ? Ce qui laisse à penser que les étudiants de première et deuxième année en médecine, censés avoir intégré la filière médicale  en connaissance de cause, ont été  menés par le bout du nez. Par bien des aspects, la grève des étudiants en médecine rappelle celle des enseignants de l’Éducation nationale dont la nébuleuse de l’extrême gauche a entretenu en sous-main le durcissement. Qui a finalement intérêt à inoculer aux facultés de médecine et de pharmacie le virus de la paralysie ?

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