Entretien avec Zakaria Lahrache : Le management et gouvernance du sport font défaut


Docteur en Sciences du Sport, Zakaria Lahrache décortique dans cet entretien les maux qui minent les clubs de la Botola et rejaillissent sur la qualité du championnat.

Propos recueillis par Jamil Manar

Pourquoi la Botola a-t-elle du mal à se hisser à la hauteur du rayonnement du football marocain sur la scène internationale?

D’un point de vue sportif, la réponse à cette question repose en premier lieu sur le facteur humain qui n’est autre que le joueur. Les performances internationales principalement celles de l’équipe nationale se basent principalement sur des joueurs issus de la diaspora marocaine, très présente selon les statistiques en France, en Espagne, en Italie, en Belgique et au Pays-Bas. Il faut admettre que ces joueurs bénéficient d’un encadrement de très haut niveau et intègrent très jeunes des équipes professionnelles, ce qui explique par ailleurs les difficultés auxquelles ces joueurs sont confrontés pour faire le choix de la nation qu’ils vont représenter. Le Maroc a longtemps profité de ce retour aux sources des internationaux formés en Europe. Les joueurs de la Botola, que l’on peut qualifier de produit local, souffrent d’un manque flagrant de formation critiqué par un bon nombre de spécialistes du domaine. Sont pointés du doigt le manque de cadres qualifiés, d’une politique de formation unifiée, des infrastructures éparpillées et souvent très mal gérées, la fragilité et le manque de discipline des joueurs, les fins précoces de carrières…etc. De ces défaillances résultent la difficulté des jeunes joueurs issus de la Botola, à s’expatrier dans des championnats européens.

Quels sont les handicaps qui freinent l’évolution du championnat en termes de professionnalisation et d’attractivité ?

Plusieurs facteurs peuvent interagir pour freiner un projet quel qu’il soit. La professionnalisation du championnat national de football traine depuis 2010. Au-delà de la refonte de l’arsenal juridique sportif et de son application, le premier facteur est d’ordre général portant sur une politique sportive nationale claire et une prise de conscience générale de ce que veut faire le Maroc de son football. Le facteur humain est primordial, il est le seul à permettre d’opérationnaliser les décisions stratégiques du football que l’on aspire avoir tous en tant que nation. Nous manquons certainement de cadres, mais ce qui fait surtout défaut, ce sont des cadres formés et spécialisés, qui soient à la hauteur des efforts consentis en termes d’infrastructures et d’équipements.

Que faudrait-il changer pour que la Botola devienne un véritable produit de divertissement, capable de générer plus de recettes et d’attirer des investisseurs ?

Le football est un spectacle mobilisateur et un produit de divertissement qui draine des bénéfices très importants générés par la billetterie, les droits TV, le merchandising et le sponsoring en plus des produits dérivés. Pour la saison sportive 2022/2023 par exemple, la Première League anglaise a réalisé pas moins de 7 milliards d’euros contre 3,7 milliards d’euros pour le championnat d’Espagne, pays avec lequel le Maroc co-organise la Coupe du monde de 2030. Donc, le football est un secteur économique porteur et pour profiter de ses ressources substantielles les clubs européens se sont organisés en entreprises modernes dont une vingtaine est cotée en bourse.

A partir de là, il est nécessaire de procéder à un diagnostic clair de ce qui se passe dans le championnat national, et nous pensons que la recherche scientifique serait d’une très grande utilité dans ce domaine. Il faudra impliquer dans ce processus toutes les parties prenantes privées comme publiques, consolider les acquis notamment en termes d’infrastructures, puis instaurer une politique de communication puissante qui intègre les médias, les réseaux sociaux et les différentes plateformes interactives fréquentées par les fans du football . L’implication des clubs est particulièrement décisive dans la création et la diversification des canaux de communication avec leurs supporters. Ces derniers consomment autrement le spectacle footballistique depuis la crise sanitaire du COVID-19 qui a donné naissance aux supporters 2.0. Par la même occasion et d’un point de vue sportif, les clubs devront inciter leurs joueurs à déployer un jeu plus offensif et plus engagé, qui va au-delà d’un temps d’engagement habituel qui ne dépasse pas 20 minutes par match.

Quels sont les principaux facteurs qui expliquent l’endettement chronique des clubs marocains ?

Il semble que la quasi-totalité des clubs de la Botola ne font plus confiance à leur produit interne et rares sont les joueurs qui arrivent à se frayer un chemin dans les clubs des petites catégories jusqu’à atteindre l’équipe professionnelle. Ce constat qui questionne la qualité de la formation au sein des clubs et la déperdition des talents footballistiques. Une aubaine pour certains agents des joueurs qui n’hésitent pas à transformer leurs soi-disant pépites en voyageurs à la Gulliver. Ces derniers font le tour des clubs du championnat en des temps et des mercatos records, ce qui interroge aussi le volet éthique et déontologique de ce métier en mal d’encadrement. D’où les abus qui sautent aux yeux, commis souvent avec la complicité des responsables de clubs. Dans ce décor où dominent l’amateurisme et l’improvisation, le public est un acteur non négligeable qui met la pression sur les présidents des clubs pour faire des recrutements, souvent irréfléchis et sans recourir aux services des experts. Tous ces facteurs, imbriqués les uns dans les autres, expliquent l’endettement des clubs qui se lancent dans des dépenses budgétaires souvent mal étudiées, avec des écarts énormes entre les objectifs et le résultat final.

Pourtant, la FRMF a mis en place une commission de contrôle et de gestion des finances des clubs. Quel est le rôle de cette instance dans la prévention des dérives financières ? En fait, cette commission en question n’a pas une grande marge de manœuvre. Les responsables des clubs marocains se méfient de cette commission alors qu’elle a été conçue comme un outil d’aide d’amélioration de de la gestion et non de contrôle financier. La gabegie financière qui mine de nombreux clubs est telle qu’un travail de pédagogie gagnerait à être mené auprès des clubs pour sensibiliser ses dirigeants sur les objectifs de cette commission.

Quels leviers les clubs peuvent-ils activer pour améliorer leur gestion financière et mettre fin à la spirale de l’endettement ?

Il n’a jamais été question de leviers ou d’outils de contrôle de gestion et de bonne gouvernance. Il s’agit plutôt de bonne volonté et de responsabilité des dirigeants des clubs. Ces derniers connaissent les outils de gestion et leur utilité puisqu’ils disposent de gens qui gèrent les finances. Mais c’est la manière de gérer qui pose problème car non adapté à la pratique du football moderne et populaire et qui fonctionne comme un entreprise économique.

Quelle est alors la solution pour convaincre les dirigeants à gérer autrement les affaires de leurs clubs ?

La solution doit émaner de l’intérieur des clubs, qui doivent faire preuve de responsabilité, d’ouverture à la connaissance et au savoir, de responsabilité et surtout de dévouement parce que, qu’on le veuille ou non, le football est une question de cœur.

Pourquoi le passage des clubs d’associations à des sociétés anonymes tarde-t-il à se généraliser ?

Nous avons essayé dans plusieurs occasions de réaliser quelques analyses sur les causes de ce retard et nous avons découvert que le problème principal vient de la résistance au changement et la peur de sortir de zone et de perdre des positions acquises. Et puis, il y a la difficulté même d’appliquer la loi cadre, la loi 30-09 relative à l’éducation physique et sportive et aux sports, qui fait l’objet de plusieurs critiques sur son caractère inadapté au contexte marocain.

D’aucuns se posent la question : pourquoi la SA et non pas d’autres formes juridiques ? La loi en question gère deux concepts dichotomiques que sont l’EPS et le sport professionnel, chose qui est à notre sens très difficile pour ne pas dire impossible. Par la même occasion, les clubs marocains ont des difficultés à définir leurs capitaux et subissent parfois des contentieux qui traînent depuis plusieurs années. Ces difficultés ne sont pas les seules, et nécessitent une grande clarification et une bonne volonté pour lever les obstacles dans un esprit empreint de confiance et de franchise.

Avez-vous des exemples de clubs marocains ayant réussi ce passage et qui peuvent servir de modèle ?

On parle souvent du cas du club du FUS, mais il semble que la majorité des clubs de la ville de Rabat ont réussi leur pari. Toutefois, il est difficile d’un point de vue scientifique d’être affirmatif sans une évaluation fondée sur des critères précis. A en juger par les performances des clubs comme l’UST de Touarga ou encore la RSB de Berkane, qui disposent de leurs propres infrastructures et réalisent des recrutements ciblés inscrits dans des objectifs graduels, ces clubs sortent du lot. On peut dès lors les créditer d’une bonne gestion de leur capital humain en premier lieu, en attendant un capital marque qui se traduit par le public.

Comment expliquez-vous qu’’une poignée d’adhérents disposent d’un pouvoir décisionnel aussi important dans des clubs historiques comme le Raja et le Wydad ?

Le mode d’adhésion dans plusieurs clubs marocains pose problème. L’adhérent ne paie pas généralement la cotisation qui est d’ailleurs hors de portée pour un bon nombre de supporters désireux d’adhérer à un club. On est loin des 170.000 adhérents d’un club comme Al-Ahly en Egypte par exemple. L’institution des adhérents est une force quand elle reste neutre et à l’écart tout parti-pris, mettant l’intérêt du club au-dessus de toute considération d’ordre clanique ou autre. Malheureusement, plusieurs dépassements, comme le parachutage de personnes lors de l’élection du président et du bureau, caractérisent l’adhésion dans le contexte marocain.

Existe-t-il un moyen de démocratiser la gouvernance des clubs et d’impliquer davantage les supporters et les partenaires?

La démocratisation de la gouvernance passe principalement par la connaissance, d’où la nécessité pour les dirigeants de clubs d’être formés aux règles du management et gouvernance du sport. Cet apprentissage indispensable doit en même temps s’accompagner d’une bonne communication du club avec son environnement.

Le sponsoring et les droits TV ne suffisent-ils pas à assurer la viabilité des clubs ?

Le sponsoring et les droits TV questionnent la qualité du produit que l’on perçoit dans la Botola Pro. Il faut comprendre que les standards du consommateur marocain ont largement changé et se sont développés depuis plusieurs années, à la faveur de l’accès aux chaînes de télévision sportives qui diffusent les championnats d’autres pays. Au Maroc, les revenus relatifs au sponsoring se limitent, dans la plupart des cas, à des relations personnelles entre les responsables des clubs et ceux des entreprises, ce qui dans ces conditions interroge la pertinence du sponsoring. De la même façon, les droits TV gérés par la FRMF sont malheureusement insuffisants pour assurer la viabilité des clubs, ils permettent pour le moment de régler certains litiges des clubs.

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