Etat de la liberté de presse en 2024 dans le monde : RSF tire la sonnette d’alarme

Reporters sans frontières a publié vendredi 2 mai 2025 son classement annuel de la liberté de la presse dans le monde. La situation se dégrade aux États-Unis et dans les pays du Maghreb, à l’exception du Maroc qui gagne neuf points au classement.

A tout seigneur, tout honneur ! La Norvège conserve la première place pour la 9e année consécutive dans le classement de RSF, l’Érythrée restant en dernière position, juste derrière la Corée du Nord et la Chine. Pour sa part, Le Maroc réalise une progression remarquable, gagnant neuf places pour se placer au 120ᵉ rang sur 180 pays, contre la 129ᵉ place en 2024. Une avancée significative qui place le Royaume devant plusieurs pays arabes, dont l’Algérie (126ᵉ) et la Tunisie qui étouffe dans le domaine des libertés sous l’emprise du président Saied .

De toutes les régions du monde, la zone Moyen-Orient-Afrique du Nord reste la zone la plus dangereuse pour les journalistes avec, en son cœur, le massacre du journalisme à Gaza par l’armée barbare sioniste . Les pays sont tous en situation “difficile” ou “très grave” à l’exception du Qatar (79e). La presse est prise en étau entre la répression exercée par les régimes autoritaires et une précarité économique persistante. Au Maghreb, la Tunisie (129e, – 11) fait figure du mauvais élève, enregistrant en même temps la plus forte baisse sur le plan économique de la région (- 30 places sur ce volet), dans un contexte de crise politique sans précédent où la presse indépendante subit la répression du régime du Kais Saied.

Les baisses les plus importantes s’observent par exemple en Guinée (103e, -25), théâtre d’une « restriction terrible » de la liberté de la presse selon Anne Bocandé, et, comme l’année dernière, en Argentine (87e, -21), dirigée par le président ultralibéral Javier Milei. La situation est en outre « désastreuse » en Palestine (163e, -6), selon RSF, qui accuse l’armée israélienne d’avoir « détruit des rédactions et tué près de 200 journalistes». Aux États-Unis, le retour aux affaires de Donald Trump a entraîné une « dégradation inquiétante de la liberté de la presse aux États-Unis », indique Reporters sans frontières (RSF), dont le classement annuel par pays publié vendredi 2 mai 2025 brosse une situation « difficile » à l’échelle du monde. Les États-Unis y perdent deux places, se retrouvant en 57e position sur 180, derrière la Sierra Leone.

Donald Trump est également accusé d’avoir lancé le démantèlement des médias publics américains à l’étranger, comme Voice of America, privant « plus de 400 millions de personnes » d’un « accès à une information fiable », selon le rapport de RSF. Si les exactions physiques contre les journalistes sont l’aspect le plus visible des atteintes à la liberté de la presse, les pressions économiques, plus insidieuses, sont aussi une entrave majeure. L’indicateur économique du Classement mondial de la liberté de la presse continue de chuter en 2025 et atteint un niveau critique inédit. Conséquence : pour la première fois, la situation de la liberté de la presse devient “difficile” à l’échelle du monde.

À l’heure où la liberté de la presse connaît un recul inquiétant dans de nombreuses régions du monde, un facteur majeur – souvent sous-estimé – fragilise profondément les médias : la pression économique. Concentration de la propriété, pressions des annonceurs ou des financeurs, absence, restriction ou attribution opaque des aides publiques… À la lumière de ces données mesurées par l’indicateur économique du Classement mondial de la liberté de la presse de Reporters sans frontières (RSF), un constat s’impose : les médias sont aujourd’hui pris en étau entre la garantie de leur indépendance et leur survie économique.

Cette conjoncture fragilise encore davantage une économie des médias déjà éprouvée par l’hégémonie des GAFAM (Google, Apple, Facebook, Amazon et Microsoft) dans la diffusion de l’information. Leurs plateformes, largement non régulées, captent une part croissante des revenus publicitaires qui devraient normalement soutenir le journalisme traditionnel. Les dépenses totales en publicités sur les plateformes sociales se sont élevées à 247,3 milliards de dollars en 2024, en croissance de 14 % par rapport à 2023. Non contentes d’affaiblir ainsi le modèle économique des médias d’information, elles participent aussi à la prolifération de contenus manipulés ou trompeurs, amplifiant les phénomènes de désinformation, les fameuses fake news.

Outre cette perte de revenus publicitaires, qui entraîne un bouleversement de l’économie des médias et les contraint, la concentration de la propriété est un autre facteur de la dégradation du score économique dans le Classement de la liberté de la presse. Elle constitue une menace pour le pluralisme du journalisme. Dans 46 pays, la propriété des médias d’information est très concentrée, voire entièrement aux mains de l’État, selon l’analyse des données du Classement. 

De la Russie (171e, – 9 places), où les médias sont sous contrôle de l’État ou d’oligarques proches du Kremlin, à la Hongrie (68e), où le gouvernement asphyxie les titres critiques via la distribution inéquitable de la publicité d’État, en passant par des pays où des lois sur les influences étrangères sont utilisées pour réprimer le journalisme indépendant comme en Georgie (114e, – 11), la liberté d’informer est de plus en plus entravée par des conditions de financement opaques ou arbitraires. Dans 160 pays des 180 pays analysés par RSF, les médias ne parviennent pas à atteindre une stabilité financière, d’après les données collectées par RSF.

Pire : dans près d’un tiers des pays du monde, des médias d’information ferment régulièrement, sous l’effet des difficultés économiques persistantes. Trente-quatre pays se distinguent par des fermetures massives de médias, ayant provoqué, ces dernières années, l’exil des journalistes. C’est tout particulièrement le cas du Nicaragua (172e, – 9 places), mais aussi du Belarus (166e), de l’Iran (176e), de la Birmanie (169e), du Soudan (156e), de l’Azerbaïdjan (167e) ou encore de l’Afghanistan (175e), où les difficultés économiques s’ajoutent aux pressions politiques.


“Garantir un espace médiatique pluraliste, libre et indépendant nécessite des conditions financières stables et transparentes. Sans indépendance économique, pas de presse libre. Quand les médias d’information sont fragilisés dans leur économie, ils sont aspirés par la course à l’audience, au prix de la qualité, et peuvent devenir la proie des oligarques ou de décideurs publics qui les instrumentalisent. Quand les journalistes sont paupérisés, ils n’ont plus les moyens de résister aux adversaires de la presse que sont les chantres de la désinformation et de la propagande. Il convient de restaurer une économie des médias qui soit favorable au journalisme et qui garantisse la production d’informations fiables, une production nécessairement coûteuse. Des solutions existent, elles doivent être déployées à grande échelle. L’indépendance financière est une condition vitale pour garantir une information libre, fiable et au service de l’intérêt général.”

Anne Bocandé : Directrice éditoriale de RSF

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