La fin des hallucinations

Le cannabis, l’or vert...

Alors que sa légalisation fait toujours débat à l’échelle internationale, la commission des stupéfiants des Nations unies (CND) a reconnu les vertus thérapeutiques du cannabis. Grand producteur de cette plante prisée surtout pour son usage récréatif, le Maroc va-t-il enfin autoriser son exploitation à des fins médicinales ?  

Bonne nouvelle pour les défenseurs du cannabis qui sont convaincus de son utilité thérapeutique. La commission des stupéfiants des Nations unies (CND) a, lors de sa 63e session convoquée le mercredi 3 décembre, statué favorablement sur l’avenir juridique de cette drogue douce controversée : 27 membres se sont prononcés en faveur de sa reclassification, 25 autres se sont exprimés contre et une personne s’est abstenue. Il s’agit d’une grande victoire pour les partisans du cannabis et ses consommateurs invétérés aux quatre coins du monde, vu que la plante et sa résine étaient jusqu’à présent considérées comme des substances favorisant fortement l’abus et ayant un très faible intérêt médical. Ce changement de classification est conforme aux recommandations de l’Organisation mondiale de la Santé (OMS) qui s’était appuyée sur des études scientifiques pour émettre un avis favorable à l’utilisation du cannabis.

Celui-ci est utilisé depuis plusieurs années dans la conception de médicaments à l’instar de l’opium ou la morphine. Reste à obtenir la même requalification au niveau du droit international qui le considère comme un stupéfiant frappé d’interdiction et dont le commerce est considéré comme un trafic illicite. La décision de la commission des Nations unies ouvre une grande voie pour le Maroc qui compte parmi les plus gros producteurs mondiaux du chanvre. Alors que plusieurs pays ont dépénalisé la culture et la commercialisation de cette plante à des fins thérapeutiques, les autorités marocaines ont préféré ne pas s’engager sur cette voie malgré l’appel du Parti Authenticité et Modernité qui veut que le Maroc transforme cette herbe précieuse en « or vert ».

De nombreux pays y compris au continent africain se sont lancés dans le business du cannabis médical.  Le Lesotho, un petit pays de 2,1 millions d’habitants, est devenu en 2017 le premier pays africain donner son feu vert pour la culture du cannabis médicinal. Un an plus tard, c’est au tour de l’Afrique du Sud d’aller jusqu’à légaliser, sur décision de sa Cour constitutionnelle, la consommation de la marijuana récréatif. Le 16 décembre 2019, le gouvernement zambien décide à son tour d’autoriser la culture du cannabis sur son territoire tout en affichant sa volonté de l’exporter à des fins médicinales et économiques. Classé au rang de  4e producteur mondial de haschich par l’ONU en 2017, le Liban désireux de relancer son économie ravagée  qui pourrait profiter d’un milliard de dollars chaque année au titre de l’export de la plante très prisée dont Israël  voisin a déjà dépénalisé l’usage thérapeutique. En pleine expansion, le business du cannabis est appelé à se développer dans les années à venir.  Selon une étude du cabinet Arc View Market Research, le cannabis à des fins thérapeutiques  a réalisé aux Etats-Unis- qui en interdit cependant l’usage récréatif à l’échelle fédérale – un chiffre d’affaires de 6,9 milliards de dollars en 2016, soit 30 % de plus qu’en 2015, et pourrait générer 21,6 milliard de dollars d’ici 2021. Une manne fabuleuse qui fait saliver bien des pays, au rang desquels figure le Canada.

La légalisation du cannabis par ce pays de l’Amérique du nord en octobre 2018 a ouvert des perspectives très prometteuses pour la commercialisation du cannabis thérapeutique, associé au bien-être et récréatif. Une poignée d’entreprises comme Aphria, Cronos, Canopy Growth, Aurora Cannabis, OrganiGram, Canntrust et Tilray ont investi le créneau et œuvrent sans relâche pour mettre au point une gamme de produits dérivés afin de conquérir de grandes parts de marché à l’export. Principale cible : le marché américain où son usage médicinal est autorisé dans pas moins de 30 États.

Bataille commerciale

Dans cette perspective, bien des sociétés qui ont pris les devants et commencent déjà à nouer des alliances stratégiques, investissent à tour de bras dans la R&D, déposent des brevets et mettent au point des produits innovants. Dans cette bataille commerciale aux enjeux financiers colossaux, les techniques marketings sont également mobilisés en vue de créer des marques de confiance et contribuer à modifier la perception négative du cannabis chez le client. La science du cannabis est en plein essor. Son industrie s’est offert les services des scientifiques spécialisés les plus en vue (génétique, métabolisme, santé, techniques horticoles et industrielles). Il y a énormément de blé à ramasser. Il faut juste oser et cultiver la bonne approche.  En France, l’idée du cannabis thérapeutique fait sérieusement son chemin. Le pays va expérimenter durant deux ans son usage à partir du premier semestre 2020 suite à une décision adoptée en novembre 2019 par l’Assemblée nationale. Une décision qui devrait soulager de nombreux malades souffrant de certaines pathologies pour lesquels les remèdes classiques sont devenus inopérants. Le Canada l’a bien compris en autorisant ses patients atteints de certaines maladies incurables comme le sida ou le cancer à fumer un joint ! En Australie, le cannabis à usage médical est légal depuis 2016. Le continent fait même partie des pays à avoir autorisé son exportation en 2018. Dans l’Union européenne, 21 pays sur 28 autorisent, à des degrés divers, le cannabis à usage thérapeutique. Dans ce domaine où la France est à la traîne, force est de reconnaître que les Pays-Bas ont été les précurseurs en permettant dès 2003 aux personnes atteintes de maladies graves (sclérose en plaques, sida, cancer, syndrome de la Tourette…) ou de douleurs chroniques de se procurer en pharmacie des médicaments à base de cannabis, sur présentation d’une ordonnance médicale.

En Allemagne, le cannabis thérapeutique est en vente libre depuis 2017. « Les patients pour lesquels toutes autres possibilités de traitement ont été épuisées peuvent obtenir une prescription médicale pour des fleurs de cannabis séchées et des extraits de qualité standardisés délivrés en pharmacie », indique l’Observatoire européen des drogues et des toxicomanies (OEDT) dans un rapport datant de décembre 2018. Le Royaume-Uni a rejoint en novembre 2018 les pays ayant légalisé ce type de cannabis. Ce dernier est prescrit par des médecins spécialistes sous forme de pilules ou d’huile mais pas sous forme de joint. En Italie, la marijuana est une affaire de l’armée qui en assure la production ; en République tchèque, la prescription et la délivrance du cannabis sont très restrictives; en Macédoine du Nord, le cannabis est en vente libre sans ordonnance.  En Norvège, l’usage thérapeutique n’est pas ouvert à tout le monde. Les autorités étudient les demandes d’autorisations au cas par cas. Aussi paradoxal que cela puisse paraître, cette même Union européenne où le cannabis est élevé sans complexes au rang de business florissant n’a de cesse de faire pression sur le Maroc pour lutter contre la culture et le trafic du cannabis à un moment où de plus en plus de pays membres et autres ont brisé le tabou de cette plante aux bienfaits médicinaux reconnus.

Cette duplicité européenne ne semble pas déranger les pouvoirs publics marocains qui continuent, au risque de passer à côté d’une opportunité économique en or, à faire la chasse aux barons du haschisch dont ils saisissent la marchandise qu’ils tentent de faire convoyer clandestinement vers l’Europe. Cependant, depuis quelques années, le cannabis commence à faire ouvertement débat dans le royaume, à l’initiative du Parti authenticité et modernité (PAM) qui est allé jusqu’à déposer un projet de loi visant à légaliser le cannabis à usage thérapeutique tout en réclamant une amnistie pour les cultivateurs de cette plante dans la région de Ketama au nord du pays. Mais cette initiative n’a pas prospéré, rencontrant même l’opposition farouche de certains partis, notamment le PJD au pouvoir dont les militants se soûlent aux discours démagogiques. Les amis d’Al Othmani ont dû voir dans la démarche du parti dirigé à l’époque par Ilyas El Omari quelque chose de satanique. Pour eux, l’argent qui proviendrait du cannabis fut-il à usage thérapeutique est tout simplement haram. Pour détendre l’ambiance, il faut repasser…

Un énorme potentiel à exploiter…

Le Maroc pourrait récolter quelque 100 milliards de DH de la production du cannabis en cas de sa légalisation avec une structuration de la filière, à en croire un rapport récent publié par l’institut Prohibition Partners. En ces temps de disette financière provoquée par la crise sanitaire liée au Covid-19, une telle manne ne se refuse pas. Ce même centre, qui a évalué le potentiel africain du marché du cannabis médial à quelque 7 milliards de dollars, indique, en se basant sur des chiffres de l’ONU, que 80% de la production nationale du cannabis était destiné à l’export en 2017, alors que les 20% restants sont dédiés à la consommation locale. Le cannabis à usage récréatif au Maroc procède d’un phénomène culturel bien enraciné dans les mœurs des habitants du nord du pays qui fument le fameux sebsi. Ce qui fait que plusieurs adeptes de cette plante qui fait planer ne comprennent pas pourquoi sa consommation a été criminalisée. Peut-être parce que le cannabis est plus destructeur que tous les business comme celui des armes par exemple ?

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