Le bail de la discorde

Les bailleurs sont-ils fondés à réclamer l’intégralité de leur loyer alors que la crise sanitaire a impacté durement l’activité économique ? Le partage des pertes n’est-il pas un principe juste, à prendre en considération dans le cadre d’une jurisprudence bienvenue ?      

Les entreprises dont l’activité est impactée par la propagation du Covid-19 doivent-elles payer l’intégralité du montant de leur loyer commercial ? Cette question ne fait pas débat au Maroc. Et pourtant, le problème se pose avec acuité depuis l’apparition de la pandémie au Maroc, en mars dernier, et s’est transformé en facteur de conflit et de tension entre les locataires et leurs bailleurs en général. Ces litiges d’un genre nouveau viennent chaque jour grossir le volume des dossiers  qui atterrissent sur le bureau des juges qui ne savent pas comment statuer sur des affaires liées à des événements qui échappent au contrôle de tous, y compris du débiteur. Celui-ci devient insolvable malgré lui, faute d’activité, stoppée ou réduite, pour cause d’une épidémie mondiale dont il n’est nullement responsable.

En clair, ce n’est pas sa faute si la crise sanitaire l’a empêché de respecter ses obligations contractuelles. Il est vrai que la loi marocaine sur les baux n’a pas prévu de cas de force majeure comme celui du coronavirus et protège surtout les intérêts du propriétaire. Mais il y a là, sans conteste, à la lumière des effets dévastateurs du Covid-19 sur l’économie nationale et les caisses de l’Etat, matière à émettre des jugements qui feront jurisprudence dans un sens qui prend en considération les contraintes objectives du locataire. En attendant, une foultitude de questions se pose d’emblée, principalement celle-là : Les commerces fermés tels que les salles de sport ou les hammams dans le cadre des mesures restrictives instaurées à Casablanca sont-ils tenus de s’acquitter du loyer alors qu’ils ne génèrent pas de recettes ?

Nombre de chefs d’entreprise placés dans cette situation sans précédent invoquent, à raison d’ailleurs, la force majeure ou l’imprévision pour demander le report du règlement ou son étalement pendant que d’autres sont tout simplement dans l’impossibilité de payer… Bonjour les impayés. Des batailles judiciaires à la pelle en perspective. D’autres chefs d’entreprise se disant victimes des mesures restrictives qui ont fait baisser leurs chiffres d’affaires réclament une révision à la baisse du loyer à leurs bailleurs. Là aussi, l’argument est défendable vu que le montant du loyer concerne la période prospère d’avant le coronavirus. Mais les bailleurs professionnels ne réagissent pas tous de la même manière face à cette situation de crise inédite.

Certains se montrent compréhensibles et acceptent de partager les pertes avec les commerçants en passant l’éponge sur le  loyer des mois de confinement général comme c’est le cas de Salwa Akhannouch qui n’a pas voulu encaisser l’argent du bail des boutiques de Morocco Mall à Casablanca pendant cette période. Mais n’est pas Salwa Akhannouch qui veut ! De nombreux bailleurs industriels, opérant dans les parcs  de Aïn Sebaâ et ailleurs,  ne veulent rien savoir, exigeant d’être payés jusqu’au dernier centime, insensibles à la détresse de leurs clients.  Pour eux, corona ou pas corona, la rente dont ils jouissent est une exception qui échappe aux dégâts des « cas de force majeure ».

Cette épidémie devient même pour eux la seule opportunité résiliente dans un contexte de désastre économique généralisé tandis que de nombreuses entreprises en butte à de grosses difficultés ont procédé à la baisse des salaires de leurs employés pour éviter la faillite. Même l’Etat a consenti des sacrifices en prenant en charge la part patronale des cotisations sociales et de la taxe de formation professionnelle. Sans oublier le paiement de l’indemnité forfaitaire mensuelle de 2.000 DH pour de nombreuses entreprises. Le dossier des baux professionnels et commerciaux mériterait d’être traité sérieusement par le gouvernement et le Comité de veille économique (CVE). Il s’agissait sur un plan juridique pour l’exécutif de légiférer sur la relation liant le bailleur et le locataire en période de crise comme celle que nous vivons. Il y a assurément un juste milieu à trouver entre les locataires et les bailleurs, de telle sorte de préserver les intérêts des deux parties en interprétant la loi relative aux différents baux à l’aune de la crise sanitaire et de ses dégâts économiques sans précédent.

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