Le scandale de trop

Sans prendre de gants ni de masque, deux grands médecins français ont clairement laissé entendre sur une chaîne de télévision hexagonale que l’Afrique est peuplée non pas d’êtres humains dignes de respect mais de rats de laboratoires bons à subir les expérimentations les plus hasardeuses des labos occidentaux. Scandale…  

En pleine bataille mondiale contre le coronavirus, une polémique malheureuse s’est invitée tout à coup dans une actualité de plus en plus morbide, rythmée par la hausse du nombre de décès et l’envolée continue de la courbe des contaminations. Sur la chaîne française d’information en continu LCI, deux experts de la santé ont recommandé le 2 avril à visage découvert que le futur vaccin contre le Covid-19 soit expérimenté d’abord sur les Africains. Rien que ça. Scandale…Et celui-ci n’est pas le fait de n’importe qui. Il  est arrivé par deux  médecins français de renom. D’où  son retentissement médiatique. Premier à ouvrir les hostilités, le professeur Jean-Paul Mira, chef du service de réanimation à l’hôpital Cochin de Paris,  lance à son interlocuteur  sans prendre de gants : «Si je peux être provocateur, est-ce qu’on ne devrait pas faire cette étude en Afrique, où il n’y a pas de masques, pas de traitements, pas de réanimations  Un peu comme c’est fait d’ailleurs pour certaines études sur le sida, où chez les prostituées, on essaye des choses parce qu’on sait qu’elles sont hautement exposées et elles ne se protègent pas ? ». Le professeur Camille Locht, directeur de recherche à l’Institut national de la santé et de la recherche médicale, acquiesce sans coup férir : «Vous avez raison, on est en train de réfléchir en parallèle à une étude en Afrique justement pour faire ce même type d’approche avec le BCG, un placebo.  Je pense qu’il y a un appel d’offres qui va sortir… ».

Les deux hommes discutaient comme dans un café de la mise en place rapide de tests pour juger de l’efficacité du vaccin contre la tuberculose, le fameux BCG, contre le Covid-19. Cet échange en direct pour le moins insultant a soulevé une grande vague d’ indignation mâtinée de colère aux quatre coins du continent africain où de nombreux internautes et de personnalités en vue ont condamné des propos révoltants. «Faut-il décrire les sentiments de familles réduites à la condition de rats de laboratoire?», dénonce l’association Esprit d’Ébène dans le journal Le Monde. Dans une tribune signée par de nombreuses personnalités françaises et issues de la diaspora, elle fait état d’une «insulte à l’Afrique et à l’humanité». «Pourquoi ne proposent-ils pas de tester ces fameux vaccins sur leurs compatriotes qui tombent comme des mouches pulvérisées à l’insecticide ?» renchérit un journaliste burkinabé. Avec un peu de retard,  l’Organisation mondiale de la Santé (OMS) a réagi  indirectement à la polémique lundi 6 avril   par la voix de son directeur général Tedros Adhanom Gherbreyesus. « L’héritage de la mentalité coloniale doit prendre fin », a-t-il déclaré. Ce qui est plus frappant dans cette histoire, que la majorité des médias hexagonaux ont curieusement escamotée, c’est le ton très calme adopté par les deux experts français qui trouvaient normal et comme allant de soi que les populations africaines servent de cobaye aux expérimentations occidentales. Dans leur entretien,  l’un comme l’autre, qui ont dû après coup faire leur mea culpa devant le tollé soulevé par leur propos, ne semblaient pas dire quelque chose de choquant ou d’infâmant. Pour eux, l’Afrique est peuplée non pas d’êtres humains mais de rats de laboratoires bons à subir les expériences des  firmes occidentales. Cela fait plusieurs décennies que ces derniers, encouragés par la faiblesse des coûts et la quasi-inexistence des contrôles,  testent leurs produits en Afrique dans l’impunité totale. Au mépris de la sécurité des « cobayes » humains et des des règles éthiques et avec la complicité des autorités politiques et sanitaires des pays-cible.  

L’échange sur LCI n’a fait que remettre sur le devant de la scène des pratiques qui se sont banalisées à force d’être tolérées. En mars 2005, une organisation du nom de Family Health International avait effectué au Nigéria pour le compte du laboratoire américain Gilead Sciences des essais cliniques du Tenofovir, un antiviral prescrit contre le sida. Ces expériences, qui seront suspendues dans un certain nombre de pays africains en raison de leurs multiples entorses déontologiques, étaient financées par le gouvernement américain et la Fondation Bill et Melinda Gates. Le scandale lié à ces expériences dégradantes éclatera  au grand jour en 2001 lorsque plusieurs familles nigérianes décident de porter  plainte contre  le laboratoire Pfizer auprès de la justice américaine coupable à leurs yeux d’avoir mené ses expériences sans se conformer aux procédures  en vigueur  dans ce domaine.

Passé douloureux

En cause, l’absence de l’accord des « cobayes humains», l’insuffisance des données communiquées sur les risques encourus et l’insuffisance du contrôle thérapeutique. Dans une enquête parue dans les colonnes  du Monde diplomatique en 2005, le chercheur français Jean-Philippe Chippaux révèle le mode opératoire sauvage des firmes pharmaceutiques dans le continent africain: « En Afrique, les éventuelles réglementations médicales et pharmaceutiques datent de l’époque coloniale et apparaissent obsolètes ou inadaptées. Les risques de manquements à l’éthique sont d’autant plus grands que les laboratoires délocalisent de plus en plus leurs tests sur le continent noir. (…). En outre, les conditions épidémiologiques en Afrique se révèlent souvent plus propices à la réalisation d’essais : fréquence élevée de maladies, notamment infectieuses, et existence de symptômes non atténués par des traitements itératifs et intensifs. Enfin, la docilité des patients, en grande détresse compte tenu de la faiblesse des structures sanitaires locales, facilite les opérations.» Ces essais cliniques sont menés la plupart du temps en infraction du code Nuremberg qui encadre ce genre d’expériences pour éviter justement les dérives générés par les progrès de la recherche médicale.  

Sur le terrain, ces règles sont rarement respectées. Résultat: L’Afrique traîne un passé douloureux de scandales sanitaires et d’expérimentations plus ou moins légales conduites par des chercheurs occidentaux très peu regardants sur les règles éthiques et déontologiques. Au point que les médecins occidentaux y ont mauvaise presse, accusés par les populations locales d’introduire sciemment des virus dans le continent pour pouvoir soumettre les gens, qui pensent souvent qu’ils se font administrer un vaccin, à leurs expérimentations dangereuses. Beaucoup de patients malgré eux en gardent des séquelles psychologiques et physiques graves. Mais qui s’en soucie vraiment ?  

L’Afrique vaccinée contre le mensonge de l’Occident        

Les propos des deux chercheurs français mettent soudain en lumière toute la considération que porte l’Occident pour l’Afrique. Là aussi, les masques sont tombés ! Derrière les discours laudateurs habituels  sur le continent présenté par les puissances comme la nouvelle terre promise des opportunités économiques et le nouveau pôle de croissance mondiale se cache en fait une logique hypocrite et implacable. Pour le monde développé, l’intérêt de l’Afrique se limite globalement à la richesse de son sous-sol soumis à une prédation économique constante de la part de différentes multinationales qui se traduit par une misère scandaleuse sur le sol.

Terrain privilégié des expérimentations médicales hasardeuses, le continent sert aussi de poubelle pour les nations riches qui y déversent sans aucun scrupules  leurs  résidus chimiques,  déchets hospitaliers, et autres saloperies  toxiques.  Au diable le respect de l’environnement recyclé dans des discours vaseux visant à entretenir   le développement durable…des surprofits de l’Occident. Vive l’A-fric !    

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