L’affaire baptisée « Escobar du Sahara » commence à révéler ses secrets au gré des témoignages des principaux accusés. compte-rendu.
Laila Lamrani
Lors de sa comparution vendredi 11 avril devant les juges de la Cour d’appel de Casablanca, l’ex-patron du WAC Saïd Naciri et ex-président PAM du Conseil préfectoral de Casablanca a nié les faits qui lui sont reprochés. «J’ai suffisamment de preuves pour faire éclater la vérité et démontrer mon innocence », a-t-il lancé en substance au terme de la lecture de l’acte d’accusation axé principalement sur la détention, vente et exportation de drogues. Suspense. Quels documents irréfutables compte-t-il produire ? Démarche sincère ou coup de bluff? Suspense… Sur ce, suspension de l’audience, dirigée de main de maître par le président Ali Torchi, et rendez-vous a été donné pour le 18 avril en vue de la reprise de son audition.
Dans le cadre de cette affaire tentaculaire qui met en lumière la collusion entre des hommes politiques et les réseaux de trafic de drogue, les juges ont déjà entendu la majorité des 25 accusés sur lesquels pèsent une kyrielle de charges : «faux en écriture publique», «faux et usage de faux», «extorsion de fonds», «falsification», «participation à une entente en vue de la détention, l’exportation et la commercialisation de drogues», «recel», «usage de faux en écriture publique», «faux témoignages», «mise en service de véhicules sans immatriculation», «complicité» et «tentative d’exportation de stupéfiants sans autorisation des autorités compétentes».
L’un des principaux accusés dans le cadre de ce dossier où il est également question, en plus de trafic de drogue et d’or, de transactions immobilières suspectes en cash, a livré un témoignage qui révèle la nature de certaines accointances politiques qui facilitent les deals les plus douteux… Il s’agit de Belkacem El Mir, ancien député PAM d’Oujda, agriculteur et lotisseur de son état. Poursuivi en état d’arrestation tout comme les autres co-accusés, celui-ci a raconté par le menu le film de la vente en juillet 2019 à Saïd Naciri d’une villa cossue de 1.650 m2 situé dans le quartier Californie à Casablanca pour un montant de 16,5 millions de DH dont 6,5 millions de DH payés en espèces et le reste sous forme de 5 chèques antidatés de 2 millions de DH chacun émis par la SARL Akab Promotion. M. Naciri en était le dirigeant jusqu’à 2007, ce qui ne l’a pas empêché de continuer à utiliser plus tard ses chèques pour se payer la villa en question qui se trouve au cœur de tous les soupçons. Said Naciri a intégré ce bien immobilier dans les statuts d’une société civile et immobilière (SCI) du nom de Prado qu’il a créée pendant l’année de son rachat, un artifice qui lui permet d’échapper au fisc en cas de la revente de la propriété en SCI…
Le statut de la villa de Californie est entouré de mystères. Haj Ahmed Ben Brahim, le baron de drogue malien par qui ce scandale retentissant est arrivé, qui purge une peine de 10 ans de prison au Maroc, en revendique la propriété alors que M. El Mir soutient l’avoir acquise en 2013 auprès de son beau-frère qui n’est autre que le PAM Abdenbi Bioui qui forme avec Saïd Naciri les deux principales têtes d’affiche judiciaire de cette affaire à tiroirs. M. Ben Brahim a accablé ce tandem en déclarant lors de son interrogatoire par la BNPJ avoir « démarré le trafic de drogue à partir du Maroc en 2013, en partenariat avec Bioui et Naciri».
« Je me souviens que M. Naciri m’avait remis de l’argent en cash dans le parking du Parlement », avoue M. El Mir, non sans qu’il soit interrogé sur l’origine de ces montagnes d’argent que la justice soupçonne de provenir du trafic de stupéfiants. « Je n’en ai aucune idée », a répondu celui qui se trouve aussi au centre d’accusations en relation avec l’importation depuis la région sahélienne de plusieurs centaines de kilos d’or en passant par la frontière sud du Maroc jusqu’ à Oujda à l’est. Un trafic entre le Maroc et la Mauritanie auquel a participé l’ex-patron du WAC déchu, à en croire la déposition de Belkacem El Mir. C’est à partir de la capitale de l’Oriental que M. El Mir, présenté comme l’un des chefs du réseau de trafic de drogue, que Abdenbi Bioui, alors président de la région de l’Oriental, est accusé d’avoir dirigé pendant environ deux décennies un réseau qui aurait exporté, moyennant une série de complicités, quelque 200 tonnes de cannabis vers l’Algérie. Avec la complicité de son frère, Abderrahim, qui lors de son audition par la justice en mars dernier, a nié tout lien avec le trafic des stupéfiants, allant jusqu’à indiquer que les dizaines de millions de DH ayant transité sur ses comptes après 2022 provenaient des secteurs de l’agriculture et de l’élevage. « Les trafiquants ne méritent pas10 ou 20 ans de prison, ils méritent la peine capitale », a-t-il affirmé devant les juges, pensant qu’il pourra s’en tirer à bon compte avec ce genre de réflexion.
Selon les statuts de la société, Abderrahim Bioui est le propriétaire et le gérant de Bioui Travaux spécialisé dans le BTP. Il s’agit d’une entreprise fondée et gérée dans les faits par son frère aîné qui a fait jouer ses appuis politiques dans l’establishment pour obtenir des marchés publics colossaux auprès du ministère de l’Équipement. Abdenbi, qui n’a pas encore été entendu par les juges a certainement des choses intéressantes à raconter surtout la face cachée et sombre de ses activités…