Wiqaytna a fait pschitt. Dans un silence gouvernemental assourdissant. L’application marocaine de traçage des contacts contaminés au Covid-19 n’a finalement pas servi à grand-chose. Sinon à engraisser les concepteurs de cette solution technologique : Dial Technologies et Excelerate Systems.
Lancée le 1er juin dernier avec la bénédiction de la Commission nationale de contrôle de la protection des données à caractère personnel (CNDP), l’appli téléchargeable sur Apple Store, Google Play ou sur le site wiqaytna.ma, a récolté un succès remarquable en termes de nombre de personnes qui ont accepté de l’installer sur leurs Smartphones. Soit plus de 2 millions de partisans en l’espace de trois semaines, l’un des scores mondiaux les plus remarquables en matière de réactivité citoyenne. La performance s’arrête là. Pour un pays de 37 millions d’habitants, force est de constater qu’on est très loin du compte. Après un démarrage plus que prometteur, le rythme des installations s’est ralenti de manière significative. Sans compter ceux qui ont désinstallé l’application après l’avoir téléchargée. L’enthousiasme des premiers jours a cédé la place à une certaine froideur. Pas de quoi pavoiser. Dans leurs interventions, les officiels ne parlent d’ailleurs même plus de Wiqaytna comme moyen efficace pour casser la chaîne de transmission du virus.
C’est que Wiqaytna, basée sur le volontariat, n’a pas rempli la mission première qui lui a été assignée par ses promoteurs, le ministère de la Santé et celui de l’Intérieur, à savoir l’identification et la prise en charge rapide des cas confirmés positifs, à la faveur de levée des mesures de confinement. Concrètement, Wiqaytna permet de mémoriser la présence des individus évoluant dans un entourage immédiat puis les avertir si l’un d’eux chopait ensuite le virus. L’alerte tombe sur les portables des intéressés après le transfert des informations sur un serveur du ministère de l’Intérieur. Aucune crainte sur ses données personnelles, on n’a rien à cacher à notre Big-Brother national dont la performance du renseignement humain est par ailleurs mondialement connue.
« Wiqaytna fonctionne correctement. L’application est active ». C’est le message que reçoivent les utilisateurs chaque matin sur leurs Smartphones. Mais les alertes sont très rares pour ne pas dire inexistantes. Cet outil technologique, qui fait partie du dispositif de lutte contre la pandémie, a été adopté dans la perspective du retour du contact social- mis en berne pendant la quarantaine- suite à la reprise graduelle de l’activité économique et des déplacements des citoyens. Wiqaytna procédait de la volonté des pouvoirs publics, tétanisés par une maladie très contagieuse dont personne ne connaît ni l’ampleur ni l’issue, de limiter sa dissémination parmi la population.
Gageure
Or, le mode opératoire du virus, à la fois mystérieux et déroutant, a montré qu’il ne se transmet que rarement en population, à l’air libre et qu’il affectionne particulièrement les endroits confinés comme les usines où émergent régulièrement des foyers épidémiques qui ont fait flamber la courbe des contaminations. Dans des milieux professionnels comme Lalla Mimouna, cette unité de conditionnement de la fraise où ont surgi plus de 700 cas, ou la fabrique à chaussures de Casablanca tournée vers l’export, Wiqaytna n’y voit que du feu…
Au-delà du problème juridique en relation avec la protection des données personnelles qu’il pose, l’échec de Wiqaytna est lié en grande partie à son mode opératoire technique contraignant. Il faut que la fonction Bluetooth soit activée et les « cas contacts » équipés de Smartphones soient censés évoluer à une distance proche, moins de 2 mètres, pour que l’application fonctionne. Réunir ces conditions dans la rue au cours d’une journée relève de la gageure. Quid donc des millions de Marocains qui ne disposent pas d’un Smartphone ? La Covid-19 n’est chopée que par les personnes munies de téléphones intelligents ?
La collecte des données était censée permettre ensuite la facilitation du travail des brigades sanitaires chargées de traquer les malades dans les différentes régions du Maroc. Tout ce processus ne fonctionne que sur le papier. Virtuellement, l’affaire semble comme un jeu d’enfant. Mais sur le terrain, la solution se heurte à bien des obstacles qui en altèrent l’efficacité supposée. Traquez l’erreur.
Résultat des courses : Le nombre de cas positifs détectés grâce à l’appli Wiqaytna depuis son lancement début juin est infiniment dérisoire. « Moins d’une centaine d’alertes Covid envoyées aux utilisateurs », selon une source médicale. Pour un outil qui a coûté plusieurs millions de DH, le bide est très chèrement payé. Reste à trouver la parade pour protéger le pays contre le virus des solutions faussement magiques !
Vive le traçage manuel !
Les autorités marocaines peuvent se consoler. La solution de « traçage des contacts » a été un échec dans tous les pays qui ont adopté cette application, encouragés par ce qui semblait au départ une belle réussite jalousée signée Singapour. Singapour est en effet le premier pays à avoir mis en place un dispositif de « traçage des contacts » (contact tracing). Baptisé TraceTogether, le logiciel se base sur la technologie de transmission sans fil Bluetooth, valable sur de courtes distances.
Le choix des responsables singapouriens de recourir à la technologie dans la lutte contre la pandémie Covid-19 plutôt qu’au confinement de la population comme ce fut le cas ailleurs (Maroc, France, Espagne, Italie, Tunisie….) est loin d’avoir été concluant. Preuve, l’État insulaire s’est vu obligé, devant la montée considérable du nombre des covidés, de mettre ses habitants sous cloche en avril dernier et étendre la quarantaine au-delà de la date du 4 mai initialement retenue. Moralité de l’histoire : Rien ne veut le traçage humain et manuel. Dans ce domaine, la virtualité a du mal à dépasser la réalité.