La décision gouvernementale d’ouvrir les vannes des importations des viandes rouges n’a guère contribué à induire une baisse significative des prix. Décryptage d’une situation complexe.
Laila Lamrani
Grosse déception chez le citoyen lambda. Les prix des viandes rouges sont toujours au plus haut malgré leur importation autorisée par le gouvernement. Entre 120 et 130 DH le kilo dans le commerce. Hors de portée pour les bourses modestes et même une partie de la classe moyenne. L’exonération des taxes fiscales et douanières dont a bénéficié cette mesure aura été un coup d’épée dans l’eau, puisque la baisse des prix escomptée n’a pas eu lieu. Dans l’espoir d’atteindre cet objectif, le gouvernement avait donné le feu vert pour l’importation « dans une durée limitée » des viandes rouges, congelés ou réfrigérés, en provenance des pays dont la liste a été précisée dans une décision d’ONSSA en date du 15 octobre qui fixe aussi les conditions d’importation. Pour les viandes ovines et caprines, il s’agit des pays de l’Union européenne, Andorre, Albanie, Argentine, Australie, Canada, Chili, États-Unis, Grande-Bretagne, Nouvelle Zélande, Russie, Serbie, Singapour, Suisse et Uruguay. Quant aux viandes bovines, l’autorisation d’importation inclut, en plus des pays en question, le Brésil, le Paraguay et l’Ukraine.
Les importateurs sont tenus de fournir aux services concernés le certificat d’abattage rituel halal fourni par les pays exportateurs. Avec ce dispositif, le chef du gouvernement pensait approvisionner suffisamment le marché national en vue d’augmenter l’offre et, agir par conséquent, sur les prix. Mais les choses ne se sont pas passées ainsi, au grand dam du consommateur toujours aux prises avec la vie chère. Tout récemment, le Maroc a signé un protocole sanitaire avec l’Australie, réputée pour l’importance de son élevage bovin et ovin. Objectif : enrichir sa force de frappe importatrice qui compte des fournisseurs traditionnels, notamment l’Espagne, le Brésil et la Roumanie. Sur le papier, la stratégie d’importation des viandes rouges semblait pertinente : introduire sur le territoire national des containers de viandes à des prix compétitifs. Sauf que le gouvernement a péché par un manque de vision en omettant un maillon important de la chaîne : une plateforme logistique propre à cette nouvelle filière d’importation ( lieu de stockage et de distribution). Les responsables des abattoirs de Casablanca, une structure privée, ont par exemple refusé aux importateurs d’y entreposer leurs cargaisons de viandes étrangères.
Force est de constater que l’exécutif a mis la charrette avant les bœufs, pensant qu’il suffit juste de délivrer des permis d’importer pour que les choses fonctionnent dans le meilleur des mondes bovins. Erreur sur toute la ligne. Les surcoûts liés au transport et à la logistique propres à chaque importateur renchérissent à leur tour le prix de revient, ces charges supplémentaires étant répercutées sur le prix de vente final. La volonté d’importer une viande au prix compétitif se heurte aussi à une réalité bien marocaine, la complexité des circuits de distribution marquée par la multiplicité des intermédiaires, qui ne contribuent guère à une baisse significative des prix. Et puis, la viande d’importation n’a pas bonne presse auprès des boucheries de quartier qui ne la proposent pas à la vente. « Elle est insipide et difficile à cuire », juge un boucher dont l’avis est largement partagé par ses congénères. Résultat : Le gros de la viande issue des élevages étrangers est livrée aux grandes surfaces, prisons et au secteur de l’hôtellerie-restauration, explique un chevillard de Casablanca.
« L’absence d’un étiquetage sur l’origine de la viande d’importation conjuguée à un doute sur le caractère effectif de l’abattage halal concourent à la défiance générale », renchérit un éleveur. Résultat : Les consommateurs privilégient la viande locale, réputée sûre quant au respect du rituel de l’abattage musulman et de meilleure qualité mais dont les prix restent très élevés. En cause, la faiblesse de la production bovine nationale aux prises avec le déficit pluviométrique et la cherté des aliments, ce qui a agi à la hausse sur les prix des bêtes. Le prix de vente d’un veau du crû d’environ 250 kg oscille entre 40.000 et 45.000 DH contre 12.000 ou 15.000 DH avant la crise sanitaire. « L’importation des viandes rouges a permis tout de même de stabiliser les prix en empêchant la poursuite de leur envolée», explique un connaisseur du dossier qui affirme que tant que la pluie fait des siennes et que les prix des aliments pour bétail demeurent élevés, les Marocains mangeront de la vache enragée.