Nous célébrons le centenaire de Khouribga et de l’OCP, l’Office Chérifien des Phosphates voulu par Lyautey. ‘‘Jnaynar Lotti’’, comme le nomment les indigènes des Ouled Abdoun, en signant le décret du 27 janvier 1920, est conscient du caractère exceptionnel de l’Office, prononcé ‘‘Loufisse’’ par les autochtones, et décide d’en confier l’exploration et l’exploitation au seul ‘‘Magasin’’ (ma5zen) afin d’éviter la rapacité du secteur privé. La découverte fortuite des phosphates chez les Ouled Abdoun, faite en 1917, à l’occasion des travaux de la ligne de chemin de fer Casablanca/Oued-Zem, va booster l’économie du Maroc.
Le problème de Lyautey avec les immigrés européens, venus en masse de tout le pourtour méditerranéen, à la recherche d’une vie meilleure, se double d’un problème avec la bureaucratie française. Les fonctionnaires français ne comprennent pas la nécessité d’inclure les indigènes dans la gestion de leur propre pays et ont une tendance naturelle à s’accaparer tous les postes. D’où un dérapage continu qui amène Lyautey à taper du poing sur la table le 18 novembre 1920 : c’est le fameux texte dit « du coup de barre », en fait, une lettre à Georges Leygues, Président du Conseil des ministres (la fonction de chef du gouvernement français a connu plusieurs appellations au cours de l’histoire, de nos jours, Georges Leygues serait le Premier ‘‘sinistre’’) : « Voici le moment de donner un sérieux coup de barre au point de vue de la politique indigène et de la participation de l’élément musulman aux affaires publiques. Il faut regarder bien en face la situation du monde musulman et ne pas se laisser devancer par les événements. Ce n’est pas impunément qu’ont été lancées à travers le monde les formules du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes et les idées d’émancipation… Il faut bien se garder de croire que les Marocains échappent ou échapperont longtemps à ce mouvement général… Ce serait absolument une illusion de croire que les Marocains ne se rendent pas compte de la mise à l’écart des affaires publiques dans laquelle ils sont tenus. Ils en souffrent et ils en causent… Ils ne sont ni barbares, ni inertes… Il se forme chez eux une jeunesse qui se sent vivre et veut agir, qui a le goût de l’instruction et des affaires. À défaut des débouchés que notre administration lui donne si maigrement et dans des conditions si subalternes, elle cherchera sa voie ailleurs… Il faut donc entrer résolument et vite dans une nouvelle voie ». Après ce ‘‘coup de barre’’, deux autres décisions vont heurter profondément Lyautey.
La première, c’est la promulgation du décret du 4 décembre 1920 pour doter la Mauritanie du statut de colonie et la rattacher à l’AOF (Afrique-Occidentale Française) qui regroupe huit colonies françaises : Mauritanie, Sénégal, Soudan français (actuel Mali), Guinée, Côte d’Ivoire, Niger, Haute-Volta (actuel Burkina Faso), Togo et Dahomey (actuel Bénin). Sa superficie atteignait sept fois celle de la France. Son chef-lieu était Saint-Louis (Sénégal) jusqu’en 1902, puis Dakar (Sénégal). La seconde décision qui va heurter Lyautey, peu après, c’est l’érection des régions de Tindouf et de Colomb Béchar en régions militaires autonomes et leur rattachement aux départements français d’Algérie. Cette érection fait ressembler l’actuelle carte géographique de l’Algérie à une femme enceinte qui cherche à cisailler le Maroc en deux pour accoucher, après une ‘‘guerre des sables’’ et onze années d’une douloureuse gestation (1962-1973), d’un bébé monstre, le Frelisario, trop frêle pour survivre (Frente Popular de Liberación de Saguía el Hamra y Río de Oro, devenu Polisario après l’ablation de son Front). Le dernier reproche que font les Francs-maçons à Lyautey ne manque pas d’étonner : la guerre du Rif est dénoncée comme « le résultat des provocations de Lyautey à l’encontre d’Abdelkrim Khattabi, dans le but de soutenir l’Espagne et le roi d’Espagne ». Les frères maçonniques savaient Lyautey très attaché à Alphonse XIII, mais pas au point de déclencher une guerre pour lui faire plaisir. Ils ont juste oublié que Lyautey s’est toujours heurté aux prétentions espagnoles sur les régions d’Oued Dahab (Rio de Oro), de Tarfaya et d’Ifni qu’il avait toujours considérées comme parties intégrantes de l’empire chérifien.