L’économie circulaire : rien ne se perd, tout peut se transformer !

Rien ne se perd, tout peut se transformer, c’est bien la leçon qu’on retient de l’avis du Conseil Économique, Social et Environnemental intitulé : « Intégration des principes de l’économie circulaire aux traitements des déchets ménagers et des eaux usées », publié tout récemment. Comme à son habitude, le Conseil nous fournit un document dont la lecture est stimulante.  En analysant une telle problématique qui est au centre de l’actualité, cette instance constitutionnelle interpelle non seulement les décideurs, mais chacun d’entre nous, tant la responsabilité est partagée.

A l’heure du réchauffement climatique, des pandémies, de la raréfaction des ressources naturelles, il est temps d’agir pour assurer notre durabilité et par-là une vie meilleure. Cela passe par l’instauration d’un nouveau rapport de l’homme à la nature et par une révision de notre mode produire et de consommer, qui est basé sur la linéarité. Ce modèle linéaire consistant à produire, à consommer et à rejeter, nous dit le rapport, n’est pas soutenable.  La nature ne peut pas supporter cette « agression » de masse dont elle fait quotidiennement l’objet : épuisement des ressources naturelles, accumulation des déchets et pollution, avec un manque à gagner en termes de croissance et de création d’emplois.

L’une des pistes serait de recourir à l’économie circulaire, entendue comme « un modèle économique durable, dans lequel les produits et les matériaux sont conçus de manière à pouvoir être réutilisés, remanufacturés, recyclés ou récupérés et donc maintenus dans l’économie aussi longtemps que possible ».

Ce modèle repose sur une utilisation optimale des ressources et sur la création de boucles de valeur positives. Il met notamment l’accent sur de nouveaux modes de conception, de production et de consommation, sur le prolongement de la durée d’usage des produits, ainsi que sur la réutilisation et le recyclage des composants.

Au Maroc, en l’absence d’une politique intégrée de la gestion des déchets qui soit axée sur le citoyen et le territoire, les efforts déployés, à ce jour, demeurent assez limités et aboutissent encore à peu de résultats en termes de recyclage et de valorisation. Dans ce contexte, le gisement de déchets en 2020 a été estimé à plus de 7 millions de tonnes de déchets, avec une production moyenne annuelle de déchets ménagers en milieu urbain chiffrée à 5,5 millions de tonnes par an, soit l’équivalent en moyenne de 0,8 kg par jour et par individu.  En milieu rural, les estimations se situent à 1,6 million de tonnes par an, soit presque l’équivalent moyen de 0,3 kg par jour et par individu.

Actuellement, le taux de recyclage demeure encore très faible, ne dépassant pas les 10% en 2020, avec des prévisions qui tablent sur l’atteinte d’un taux de 30% en 2022. Certes, l’implémentation de certaines expériences locales a réussi au niveau de villes telles que Rabat, Fès et Oujda et a permis de récupérer le carton, le verre et autres déchets industriels, en vue de leur valorisation par quelques sociétés.

Par ailleurs, malgré les résultats significatifs obtenus en termes d’assainissement liquide, la réutilisation des eaux usées demeure encore limitée. En 2020, le pourcentage d’utilisation des eaux usées épurées est estimé à 17% dans le secteur industriel et à 51% dans l’arrosage des espaces verts. Ce faible niveau de réutilisation est notamment attribué aux difficultés d’accès au financement, au manque de disponibilité du foncier ainsi qu’à l’absence d’une réglementation relative au devenir des boues résiduelles et à leur mise en décharge. Avec une disponibilité hydrique moyenne de 650 m3 par habitant et une répartition inégale entre les régions, notre pays a aujourd’hui plus que jamais besoin d’optimiser les ressources hydriques en procédant à leur réutilisation.

Par conséquent, l’application des principes de l’économie circulaire permettrait de considérer les eaux usées, non comme un problème en quête de solution, mais plutôt comme une partie de la solution aux défis de raréfaction et de pollution de la ressource eau.

A l’échelle internationale, des études estiment que pour chaque dollar américain dépensé́ en assainissement, le retour estimé pour la société́ est de 5,5 dollars américains. Sur le plan national, le coût économique de la dégradation environnementale causée, en particulier, par les facteurs de pressions sur les ressources en eau (surexploitation des nappes phréatiques, déversement des eaux usées non épurées, changement et variabilité climatique, pratiques inadéquates d’approvisionnement en eau, d’assainissement et d’hygiène ont des effets négatifs sur la santé…) a été estimé pour l’année 2014 à 11,7 milliards de dirhams, soit autour de 1,26% du PIB. Avec l’adoption de l’économie circulaire, le Maroc renforcera ses choix stratégiques de durabilité, ses relations avec ses partenaires dans les domaines de l’environnement et du climat, tout en ayant la possibilité d’attirer d’autres sources de financement de pays avancés, qui orientent leurs économies vers une neutralité carbone à l’horizon 2050.

Aussi, le CESE n’a pas manqué de relever des déficiences en matière de gouvernance tant des déchets ménagers que de la réutilisation des eaux usées. Nous avons dans un cas comme dans l’autre une multitude d’intervenants sans coordination empêchant ainsi la mise   en place d’une vision partagée, intégrée et durable ainsi que la convergence et la cohérence de plans stratégiques nationaux et locaux.

Que faire alors pour faire de l’économie circulaire un véritable levier pour un développement durable et une croissance équilibrée et axée sur l’homme ? Le CESE y répond en présentant une série de recommandations structurées autour des axes suivants : Faire de l’économie circulaire un choix étatique grâce à un cadre institutionnel et un mode de gouvernance adaptés. A cet effet, il est  préconisé notamment l’adoption d’une loi-cadre relative à l’économie circulaire et une loi anti-gaspillage ; Investir dans le changement de mentalité des citoyens, acteurs et décideurs, pour le passage de la notion « déchet » à celle de «ressource » et la réorientation des politiques de gestion d’un modèle linéaire à un modèle circulaire ; Doter les opérateurs concernés des capacités techniques et moyens financiers nécessaires pour réussir la transition vers l’économie circulaire ; Investir dans la recherche et l’innovation en vue de porter l’ambition de transition vers l’économie circulaire.  Ces quatre axes sont détaillés sous forme d’une série de mesures et d’actions.  

En somme, le Maroc a devant lui un chantier prometteur. Il doit mettre en place un plan spécifique de promotion de l’économie circulaire en partant des recommandations du CESE et en s’inspirant de certaines expériences réussies en la matière, y compris la valorisation d’une certaine « expertise populaire ». La croissance verte et la transition écologique ont de beaux jours devant elles.

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