Une attractivité à soigner

Certaines voix au Maroc  continuent à s’émouvoir de la signature le 25 mars dernier d’un accord d’octroi des visas Schengen  entre le consulat général de France à Rabat et le Conseil national de l’ordre des médecins (CNOM). Qualifié par l’ambassade française à Rabat  sur son compte X de mesure de « promotion de la mobilité entre la France et le Maroc », ce « premier accord de partenariat » , accompagné de photos immortalisant cette cérémonie, est, il est vrai, inédit à tout point de vue. Et certainement pas fortuit.
Intervenant dans un contexte d’expatriation massive de médecins marocains, une hémorragie que les pouvoirs publics ont du mal à stopper, cette convention a les allures aux yeux d’internautes en colère d’une action de débauchage flagrante des praticiens marocains par les autorités françaises.
Certains fustigent un acte  de nature à aggraver « la fuite des cerveaux » alors que d’autres exhortent  le gouvernement marocain à rappeler le CNOM à l’ordre.
L’on ne peut en effet qu’être frustré devant le départ en masse des professionnels de la santé, médecins et infirmiers, vers des pays récepteurs comme la France alors que leur pays d’origine a investi pendant des années dans leur formation. Du coup, le Maroc se retrouve sans soignants en nombre  suffisant pour soigner  ses propres citoyens à un moment où il a besoin d’eux pour accompagner les chantiers de modernisation de sa santé, devenant indirectement et à son corps défendant  un centre de formation gratuit pour soignants au profit des nations développées. Vivement un marché de transfert des médecins à l’image de celui du football qui rémunère à coups de milliards  lourds les talents vendus et leurs clubs d’origine.  
En attendant l’émergence d’une Fifa du bistouri dont le rôle serait de compenser au moins les pays saignés, le débauchage continue à battre son plein dans ce secteur stratégique et vital. Confrontés à une pénurie de médecins et d’infirmiers, de nombreux pays occidentaux (France, Belgique, Allemagne, Autriche, Belgique, Canada…) rivalisent d’offres alléchantes pour attirer des soignants.

Il ne suffit pas de former des compétences, encore faut-il savoir les retenir en leur préparant l’environnement idoine ou elles peuvent s’épanouir et évoluer.


La cible de choix habituelle : les pays en voie de développement comme le Maroc, la Tunisie, le Sénégal, ou le Liban. Le phénomène n’est pas spécifique aux pays en voie de développement, d’autres pays comme l’Espagne et la Malaisie  sont touchés. Au Maroc, les opérations de charme en direction des soignants se déroulent à visage découvert avec des annonces publiées sur Internet par des agences de recrutement spécialisées qui offrent des conditions professionnelles et financières très avantageuses que le Maroc est loin de pouvoir assurer. La tentation est alors de plus en plus grande dans les rangs des praticiens et des infirmiers, attirés par des salaires beaucoup plus élevés et  des conditions de travail plus agréables,  de s’expatrier pour aller soigner les malades des pays industrialisés. Résultat : le Maroc, dont le système de santé croule sous des maux structurels, est à la peine pour garder ses propres ressources humaines…Non seulement le Royaume ne forme pas assez de médecins (1900 par an alors que les engagements portent sur 3300) mais il se fait piquer en plus ses propres praticiens ! Bonjour la mondialisation des compétences ! Elle fonctionne à plein régime, déshabillant Mohamed pour habiller Pierre… A ce niveau-là, pas de restrictions de visas ni de frontières ! L’Europe cesse d’être soudain hermétique aux flux migratoires! Pour compenser cette hémorragie des cadres de la santé, le gouvernement a modifié la loi en 2021 pour permettre aux médecins étrangers de venir travailler au Maroc. Mais la parade n’a pas eu les résultats escomptés puisque les médecins des autres ne se sont pas vraiment bousculés au portillon. Un cautère sur une jambe de bois, les responsables du secteur devant agir en priorité sur les principales raisons qui sont à l’origine de la fuite des médecins. Il ne suffit pas de former des compétences, encore faut-il savoir les retenir en leur préparant l’environnement idoine ou elles peuvent s’épanouir et évoluer. Cela ne sert à rien de se lamenter en accusant les pays développés de piquer au pays son capital humain de valeur.  
Dans le domaine de la santé comme bien d’autres, les maux du Maroc se résument dans son défaut d’attractivité pour ses propres talents  et c’est sur ce levier inestimable que les pouvoirs publics doivent agir sérieusement  pour que les candidats au départ, qu’ils soient médecins, informaticiens ou ingénieurs, cessent de céder aux sirènes de la migration. Faute de quoi,  le pays est condamné à assister, impuissant, à l’expatriation de son capital humain qu’aucune loi au monde ni toute autre considération ne peuvent empêcher de traverser les frontières pour aller chercher le meilleur.

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