«Le succès du plan de relance économique et la mise en place d’un nouveau contrat social nécessitent une évolution réelle des mentalités et un véritable changement dans le niveau de performance des établissements publics. À cet effet, Nous appelons le gouvernement à opérer une révision profonde des critères et des procédures de nomination aux postes supérieurs, afin d’inciter les compétences nationales à intégrer la fonction publique et à la rendre, in fine, plus attractive», a déclaré S.M le Roi Mohammed VI lors de son discours du 9 octobre devant les députés. En quelques phrases, le souverain a tout dit en mettant le doigt sur le grand mal qui ronge depuis des années l’administration et la haute fonction publique : la crise d’attractivité. Celle-ci s’est accompagnée au fil du temps d’une faiblesse dans le niveau des embauches et l’absence d’une certaine forme d’exigence quant au profil des recrues. En un mot, les «sergents recruteurs» ont de plus en plus tendance à se rabattre sur n’importe qui comme si leur souci principal est moins l’efficacité au travail que le pourvoir de postes.
Ce processus de démonétisation du service de l’État a commencé avec la fameuse opération des départs volontaires mise en œuvre pour dégraisser une fonction publique pléthorique et surtout budgétivore. Sauf que cette opération a eu comme conséquence immédiate de vider une partie de l’administration de ses cadres de valeur qui se sont jetés sur cette occasion en or pour partir en empochant au passage un joli pactole. La plupart des partants sont partis «pantoufler» dans le privé et nombre d’entre eux ont été même recrutés dans le cadre de contrats ponctuels en tant qu’experts par leurs administrations d’origine, toujours plombées par une armée de bras cassés. Si ce n’est pas de l’inconséquence politique doublée d’une dilapidation des deniers publics, cela y ressemble beaucoup! Le système de l’appel à candidatures, initié par l’ex-Premier ministre Abdelilah Benkirane au lendemain de l’arrivée des islamistes au pouvoir en 2012 au nom de «la consécration des principes de mérite, d’égalité des chances et de transparence», a achevé de vider la haute administration publique de ses dernières compétences. Or, la vérité c’est que le dispositif islamiste, vertueux en apparence, n’est en fait que de la poudre aux yeux.
Derrière l’appel à candidatures version Benkirane & Co se déploie en effet une stratégie plus sournoise, celle de l’entrisme qui a contribué en plus à un nivellement par le bas sans propulser les meilleurs aux postes de responsabilité.
Un paravent visant à favoriser les nominations partisanes en casant les copains et les coquins pour servir une certaine conception de l’intérêt général propre aux islamistes dont les initiés connaissent bien les arrière-pensées. Derrière l’appel à candidatures version Benkirane & Co se déploie en effet une stratégie plus sournoise, celle de l’entrisme qui a contribué en plus à un nivellement par le bas sans propulser les meilleurs aux postes de responsabilité. On assiste même au contraire. Les plus méritants qui ont fait leurs preuves en valorisant leurs fonctions sont remplacés petit à petit par des petits profils aux parcours incertains qui donnent l’impression d’être juste des parachutés en quête d’une planque.
Inspiré du modèle canadien, qui, lui, privilégie réellement les critères du mérite, de compétence et de transparence, l’appel à candidatures à la sauce islamiste, loin d’écrémer les cadres de valeur, est aussi obscur que l’est la rhétorique du PJD. Plus grave encore, la démarche islamiste a marqué une rupture nette avec un système performant qui a longtemps contribué à l’efficacité de la haute administration marocaine : la cooptation. Aux antipodes du «spoil system» à la française, ce procédé, très utilisé du temps de feu Hassan II, a permis de dénicher les compétences là où elles se trouvent et de leur proposer des postes à la mesure de leur technicité tout en les motivant bien au-delà des salaires généralement très peu attrayants du public. Remplacer ce modèle d’attribution des postes administratifs par une procédure d’embauche à l’efficience douteuse représente sans conteste une grosse dérive, en ce sens que la haute administration s’est dévoyée par le jeu obscur des nominations partisanes, dans les méandres de la politisation là où elle se distinguait naguère par une certaine neutralité qui faisait justement sa force.
Mémoire de l’administration et gardiens de sa continuité, dépositaires de la gestion de la chose publique loin de toute instrumentalisation au service d’intérêts politiques ou particuliers, les hauts fonctionnaires survivaient souvent aux majorités gouvernementales dans un souci de protection du service de l’État des interférences politiques. Aujourd’hui, l’administration marocaine est livrée à bien pire : le noyautage et la médiocrité. Les islamistes profitent de leur conquête du pouvoir pour placer les leurs au cœur de l’appareil de l’État. Et quels « les leurs » ! On devine aisément leur niveau à l’aune de celui du Premier ministre et des ministres issus de son parti. Comment voulez-vous que dans un tel contexte des éléments compétents fassent le choix d’une carrière dans le public alors qu’ils ont la possibilité de bien négocier leur savoir-faire dans le privé ? Rétablir l’attractivité de l’administration s’apparente dans ces conditions à une véritable gageure, sauf à opérer un retour volontariste vers la culture de la cooptation avec obligation de résultat.