Le Maroc a été rattrapé par les limites de son modèle agricole gourmand en eau, axé traditionnellement sur les tomates primeures destinées à l’export et cultivées à hauteur de 95% dans la région du Souss. Alors que le pays était déjà exposé au stress hydrique, les responsables ont laissé curieusement se développer au cours de ces dernières années sur les terres du littoral entre Rabat et Larache d’autres cultures tout aussi consommatrices d’eau. Il s’agit notamment de l’avocatier qui a attiré une camarilla d’affairistes dont certains se sont reconvertis dans la production de l’avocat Hass : une variété, objet d’une demande croissante à l’international, avec une peau bosselée de couleur vert foncé baptisée or vert eu égard à son prix assez élevé.
Le Maroc en produit environ 40.000 tonnes par an dont la moitié est exportée. Les autorités agricoles ont également longtemps fermé les yeux sur une autre culture non moins avide en eau, la pastèque. Le plus grave c’est que les plantations de ce melon ont été installées dans des régions arides du grand sud marocain, essentiellement à Zagora et Tata dont le climat est adapté plutôt à des cultures résistantes à la sécheresse comme le palmier-dattier qui est d’ailleurs le fruit historiquement cultivé dans les oasis de cette partie du Royaume. Avant qu’un groupe de cultivateurs issus de la zone agrumicole de Sebt El Guerdane à Taroudant, chassés par l’épuisement de la nappe phréatique provoquée par une agriculture intensive, ne se rabattent sur ces terres désertiques qui ont été soumises à leur tour à un pompage sauvage de leurs eaux souterraines. Pour soutenir son développement, le Maroc a fait le choix d’ériger l’agriculture en pilier de son économie (14% du PIB, 4 millions d’emplois) tout en mobilisant l’ensemble de son potentiel hydraulique (barrages, forages, bassins de rétention d’eau…). Résultat : Les agrumes et les primeurs marocains, réputés pour leur qualité, ont envahi plusieurs marchés du globe notamment celui de l’UE. Les exportations augmentent d’année en année.
Savez-vous par exemple qu’il faut 300 litres pour produire 1 kg de tomates, 1600 litres pour la maturité de la même quantité d’avocats et une tonne d’eau pour avoir une pastèque de 10 kg ?
Le business agricole marche. Les gros exploitants se frottent les mains. Lancé en 2008, le Plan Maroc Vert (PMV) consacre cette orientation avec un soutien accru aux grands groupements agricoles exportateurs tout en encourageant les cultures peu consommatrices d’eau comme le caroubier, l’olivier, le figuier de barbarie et l’huile d’argan. Il est vrai que cette stratégie sectorielle a impulsé une forte dynamique à l’agriculture solidaire dont les acteurs ont été organisées en coopératives dans diverses filières mais elle n’a pas réussi à rendre caduque la fameuse phrase de Lyautey, au Maroc gouverner c’est pleuvoir, prononcée quand même il y a plus d’un siècle, puisque le Royaume n’est pas parvenu à réduire sa dépendance du ciel pour sa production céréalière restée prisonnière des zones bour. Avec tout ce que cette grosse contrainte fait peser comme incertitudes sur le PIB agricole qui reste fortement corrélé au taux de croissance. Bonjour la pluie des impondérables!
Malgré plusieurs signes avant-coureurs qui sont autant d’alertes sur la nécessité d’un changement de paradigme, la transition vers une agriculture respectueuse de l’environnement et de ses ressources à commencer par l’eau, le Maroc continuait sur sa lancée agricole initiale comme si l’eau était une denrée permanente et inépuisable, alors les rapports d’experts nationaux et internationaux se succédaient depuis plusieurs années pour alerter sur la menace hydrique qui pèse sérieusement sur le pays du fait que la demande en eau dépasse largement les ressources disponibles. C’est que les pouvoirs publics n’ont pas intégré dans leurs politiques la dimension du changement climatique et le cycle de sécheresse qui impliquent la nécessité d’une gestion raisonnée de l’eau avec comme corollaire une régulation des cultures gourmandes en eau. En somme, le modèle agricole marocain qui épuise les ressources en eau que les perturbations du climat auxquelles nous assistons aujourd’hui ne contribuent guère à renouveler a besoin d’une refonte en profondeur. Objectif : réduire la vulnérabilité du travail de la terre au risque croissant du manque d’eau que le gouvernement compte gérer par des investissements dans des usines de dessalement. Mais ce dispositif, par ailleurs à la fois très coûteux et polluant, ne doit pas dispenser d’un débat de fond, histoire d’irriguer la réflexion et la nourrir par l’échange d’idées et d’expériences, sur les défis agricoles posés au pays par la nouvelle donne climatique.
Savez-vous par exemple qu’il faut 300 litres pour produire 1 kg de tomates, 1600 litres pour la maturité de la même quantité d’avocats et une tonne d’eau pour avoir une pastèque de 10 kg ? Ce sont donc plusieurs centaines de milliards de mètres cubes d’eau que le Maroc exporte bon an mal an. Faut-il continuer sur cette voie qui fragilise les ressources hydriques à un moment où le pays dont les barrages affichent des taux de remplissage critiques vit sous la menace de la soif ?
Le temps n’est-il pas venu d’introduire une bonne dose de régulation dans cette agriculture productiviste gourmande en eau ? N’est-il pas judicieux de changer de fusil d’épaule en misant davantage sur les industries de transformation des matières premières agricoles? Celles-ci demeurent bizarrement le parent pauvre des soutiens à l’agriculture alors qu’elles sont plus porteuses que l’amont agricole en termes de création de valeur et d’emplois? Les points de croissance qui manquent à l’économie nationale sont à chercher dans plus de valorisation en capitalisant sur la qualité connue et reconnue des productions agricoles nationales. Le champ des possibles dans ce domaine est immense. Eau boulot !