La culture … ce sacré bouillon de l’expansivité des intellos continuera à fêter ses protubérances saisonnières pendant quelques jours avant de chômer à nouveau. La culture fait pitié et a besoin de dopant : un salon où on peut faire salon. A vrai dire, les salons se suivent et se ressemblent presque tous, seul le produit change. C’est une industrie artificieuse et socialisée.
En tant qu’intello ou prof, vous fêtez l’événement en pensant pouvoir dégoter des livres bon marché et, pourquoi pas, dédicacés. Vous jubilez à l’idée d’acheter des idées qu’un écrivain a couchées et que peut-être vous allez devoir lire. D’autres trouveront toujours une excuse pour ne pas être de la partie.
Le salon du livre ressemble un peu à une fête foraine, un souk ou un bazar, mais alors tout ce que vous voulez, sauf une braderie parce que de nos jours les livres coûtent plus cher que les fringues ; c’est à croire qu’en dehors de cette période, la culture et le livre se mettent en veilleuse. En fait, généralement, les choses basées sur les événements exceptionnels et périodiques, comme les salons, ne valent pas grand-chose.
Dès l’entrée dans le salon, vous butez sur une horde de gamins venus foutre la pagaille sous les auspices de leurs bahuts. Vous vous faufilez dans la foule comme dans une jungle en lançant intermittemment des «pardon » et des « excusez-moi ». Dès qu’un stand vous interpelle vivement, vous êtes grossièrement secoué(s) par un continuel affairement et un effroyable raffut orchestrés par la marmaille. On se demande si c’est un salon du livre ou juste une fête foraine.
Vous revisualisez encore les exhibitions fanfaronnes des responsables des stands et les parades caricaturales des écrivains/écrivaillons venus vendre/bazarder leurs livres/salade. Tous vous font penser à ces vendeuses étalagistes bien foutues qu’on trouve dans les supermarchés et qui vous font goûter un truc ou une connerie que vous pourriez spécieusement apprécier, mais que vous n’avez aucunement envie d’acheter. Et pour couronner cette revue, on vous propose du tape-à-l’œil, le luxe tapageur : la signature du livre par l’auteur, un autographe à collectionner. Le truc qui compte plus que le livre, pour les frivoles. A vrai dire, la signature, c’est l’appât et l’hameçon auxquels vous mordez et qui sont tendus pour vous faire oublier la bêtise crasse que vous avez eue – ou que vous aurez – d’acheter le livre. Alors pourquoi se livrer à ce supplice ? par complaisance personnelle ou par pure étourderie intellectuelle ? … Quel pastis !
Le comble de la déraison, c’est quand vous croisez séparément deux livres, un recueil de poèmes ou de nouvelles d’une centaine de pages proposé à 70 DH par une maison d’édition, et un livre de recherche de 500 pages proposé à 60 DH par une faculté. Et puis si vous voyez quel type de livres se vendent le plus, vous vous croirez au salon du prêche ou du divertissement et pas autre chose.
De toute évidence, dans ce genre d’événement, il n’y a que l’argent et la notoriété qui comptent ; il faut bien huiler les rouages et graisser le marteau, parce qu’écrire, ou écrivasser, n’est plus l’apanage d’une élite; écrire c’est comme prendre la parole à la cour du roi Pétaud. On écrit à trait de plume et au courant de la plume. Écrire un livre est un luxe contrefait et parodié dans la convulsion du (dés)espoir, les tribulations de l’intellect et les impératifs (promotion) d’un métier (professeur) devenu exigeant et ingrat.
Loin de l’ironie, il faut reconnaître qu’on peut trouver son compte dans les stands des bouquinistes où on dégote souvent des merveilles pour la lecture. A chacun selon ses besoins.
Pour épiloguer sur ce sujet, tout le monde (éditeurs, écrivains, animateurs, visiteurs), trouve son compte, sauf Casablanca parce que transférer le SIEL à Rabat, c’est de la connerie en branche. Par ailleurs, la solidarité entre intellos ressemble à une obligation morale, une question de dignité, mais quand la culture est soumise à profit, ce sont ces foutus magnats de l’industrie du livre qui s’engraissent. Et si on pense que c’est de cette manière-là qu’on va promouvoir la lecture et le livre, Eh bien que le SIEL soit loué !
Lahcen Ouasmi, Mansouria, février 2019 – juin 2022, l.ouasmi@flbenmsik.ma