Par Azzeddine Hannoun *
Le Maroc se trouve à un tournant décisif de son histoire contemporaine, marqué par des dynamiques politiques, économiques et sociales qui reflètent sa volonté d’avancer sur la voie de la modernité tout en consolidant les fondements de son État social et renforcer son rayonnement à l’international. Les événements récents, de portée tant nationale qu’internationale, traduisent d’ailleurs cette ambition. Ils constituent également une illustration forte des défis qui devraient être relevés.
La question du Sahara marocain : un enjeu central
Au cœur de l’agenda royal demeure la question du Sahara marocain, pierre angulaire de la politique étrangère du Royaume. L’approche adoptée ces dernières années, fondée sur une offensive diplomatique proactive, continue de porter ses fruits. De nouveaux États reconnaissent la souveraineté marocaine, et l’ONU semble davantage réceptive aux propositions marocaines, notamment l’initiative d’autonomie, saluée comme une solution réaliste et pragmatique.
L’engagement royal autour de ce dossier ne se limite pas au plan diplomatique. Les investissements massifs dans les provinces du Sud traduisent une volonté de faire de cette région un hub économique, tout en répondant aux aspirations des populations locales. Ce choix stratégique confère au Maroc un rôle clé dans la stabilité de la région sahélo-saharienne.
A l’occasion de deux discours Royaux cette année, Sa Majesté Le Roi avait bien réitéré la centralité de la question du Sahara. Il a appelé à la mobilisation de différentes ressources nationales afin de mieux défendre la cause nationale. Il est ainsi clair que l’Etat marocain compte passer à une vitesse dans la rechreche d’une solution à ce conflit qui confirme la souveraineté marocaine.
Coupe du monde 2030 : un horizon porteur de promesses et de défis
L’attribution conjointe de la Coupe du monde 2030 au Maroc, à l’Espagne et au Portugal représente bien plus qu’un événement sportif. Elle cristallise l’élan d’un Maroc tourné vers l’avenir et capable de rivaliser avec les grandes nations en matière d’infrastructures et d’organisation. Ce projet constitue une opportunité unique pour mobiliser des investissements colossaux, moderniser davantage les infrastructures et promouvoir l’image du Royaume comme une destination d’envergure mondiale.
Mais au-delà du rayonnement international, cet événement peut servir d’accélérateur pour des réformes sociales et économiques, notamment dans les secteurs du tourisme, du transport et du développement durable. Il s’agit d’un moment historique où sport et diplomatie se rencontrent pour renforcer la stature du Maroc sur la scène internationale.
Le Maroc a décidé de se baser sur les échéances internationales notamment dans le domaine sportif afin de donner un élan décisif au développement des infrastructures. Ainsi, lors du dernier conseil ministériel, le président du comité d’organisation de la Coupe du monde 2030 avait fait un exposé devant Sa Majesté sur les préparatifs de cette organisation suite à la bonne notation conféré par la FIFA au dossier marocain.
Le remaniement ministériel et l’action gouvernementale
Le récent remaniement ministériel consacre une certaine méthodologie propre gouvernement Akhennouch. Cette méthodologie se caractérise par une recherche de la stabilité gouvernementale, de la cohésion et un peu de sobriété politique. On a ainsi gardé la même composition de la majorité gouvernementale autour des trois partis arrivés premiers lors des dernières élections législatives. Chaque parti a vu le remplacement de seulement deux ministres et la nomination de deux secrétaires d’Etat. On y a déduit une volonté de renforcer l’efficacité et la connotation politique du gouvernement. Il est vrai que certaines nominations ont suscité de réelles interrogations notamment celle du ministre de l’éducation nationale qui n’a pas de stature politique ni même une expérience dans le domaine.
Le remaniement a pour objectif d’insuffler un nouvel élan à des réformes majeures, notamment dans les domaines de l’éducation, de la santé et de l’emploi. Il ne devrait pas seulement être un exercice institutionnel, il devrait traduire la vision royale qui aspire à renforcer la performance gouvernementale en harmonie avec les attentes citoyennes croissantes. Ce geste traduit aussi une réactivité politique face aux défis économiques, marqués par la nécessité de relancer l’activité dans un contexte international difficile. Le message est clair : les institutions doivent être au service des priorités nationales et de l’amélioration tangible des conditions de vie des Marocains. Cette version renforcée du gouvernement Akhennouch devrait s’atteler sur les points où l’action gouvernementale se trouve face à des difficultés. C’est le cas des investissements étrangers où on a relevé un certain retard. Les retombées de la sécheresse et de la conjoncture internationale ont également impacté le taux de chômage qui a connu une certaine augmentation. Une feuille de route pour booster l’emploi a été élaborée et dotée d’une enveloppe budgétaire assez conséquente.
Rebondissements dans le Paysage politique
La majorité et l’opposition ont gardé les mêmes configurations. Néanmoins, on a senti un certain raidissement dans les relations entre ces partis. Le PJD avec à sa tête Benkirane n’a pas cessé les prises de position hostiles au gouvernement et notamment à l’égard du chef du gouvernement et du ministre de la Justice. Deux thématiques ont été exploitées en vue d’engranger des points de popularité perdue par dix années d’exercices des responsabilités gouvernementales : il s’agit du projet de réforme du code de la famille et la question de la normalisation des relations avec Israël. La guerre de Gaza a également été l’occasion de vouloir se rapprocher de la rue tout en faisant pression sur l’Etat.
Le PAM, qui, cette année a connu l’organisation de son congrès ordinaire a essayé de répondre d’une manière inédite à sa crise de leadership qui dure depuis des années. (le PAM a connu en 15 ans d’existence 6 secrétaires généraux). En effet, il a été procédé à l’élection de trois secrétaires généraux. Cette formule a connu dès les premières semaines une secousse suite à la destitution de Salaheddine Aboulghali.
Cet épisode conjugué à l’arrestation en décembre dernier de deux grandes figures du parti n’ont fait que fragiliser davantage ce parti. Le parti de l’Istiqlal connait des remous depuis plus d’un an. Il est vrai que la dernière rentrée politique et parlementaire a contribué à réduire la tension interne grâce à des arrangements, néanmoins, il est clair que le parti continue à vivre des moments difficiles. Le seul parti de la majorité qui arrive à tirer son épingle du jeu est le RNI dont le président arrive à bien maîtriser les rangs de son groupe.
Le recensement général : un outil pour une gouvernance éclairée
Le recensement général de la population et de l’habitat, en cours cette année, a constitué un autre jalon fondamental. Il ne s’agit pas simplement de compter les Marocains, mais d’obtenir une cartographie précise des besoins socio-économiques. Ces données permettront d’affiner les politiques publiques, d’orienter les investissements et de répondre efficacement aux défis posés par une population jeune et en quête d’opportunités. Cette initiative s’inscrit dans une démarche plus large de rationalisation et de modernisation de l’action publique, indispensable pour atteindre les objectifs fixés dans le cadre du Nouveau Modèle de Développement.
L’État social en marche
Enfin, la consolidation de l’État social demeure un chantier prioritaire pour le Royaume. La généralisation de la protection sociale, initiée par Sa Majesté le Roi Mohammed VI, est une réforme sans précédent. En étendant les couvertures sociales à tous les citoyens, en renforçant les systèmes de santé publique et en instaurant des mécanismes de soutien aux plus démunis, le Maroc veut se positionner comme un État solidaire et inclusif. Néanmoins, la question qui se pose est celle de savoir si ces réformes seront suffisantes à satifaires les demandes sociales insistantes et faire face à la fragilisation de plusieurs catégories sociales. En effet, en lançant des réformes décisives dont les fruits ne pourraient être cueillis que dans plusieurs années, le gouvernement pourrait faire face à un front social de plus en plus frondeur. L’augmentation constante du coût de la vie ne fait que fragiliser davantage de familles y compris de la classe moyenne. La lutte contre le secteur informel met également des populations en situation de fragilité et d’attente ce qui pourrait également mener à des contestations sociales limitées.
La réussite du dialogue social (Accord social de 2024) a permis certes de limiter les dégâts de l’inflation. Les hausses des salaires ne sont certes pas de nature à complétement résoudre le problème de la précarité, ils ont néanmoins permis de renforcer momentanément la paix sociale. L’avancement dans le processus législatif concernant la loi organique sur le droit grève constitue un pas important dans la régulation des rapports entre différents acteurs sociaux et mieux gérer cette phase transitoire très sensible.
Conclusion :
Ces développements, qu’ils soient politiques, économiques ou sociaux, traduisent une même ambition : faire du Maroc un acteur central sur la scène régionale et internationale, tout en répondant aux attentes légitimes de ses citoyens. Le chemin reste parsemé de grands défis, l’ampleur des réformes est porteuse de risques aussi important notamment au niveau social. Le Maroc de 2024 est résolument en mouvement. Un mouvement qui allie modernisation, souveraineté affirmée et engagement social. Un mouvement qui porte en lui également des risques et défis.
* Professeur de droit public à la faculté des sciences juridiques et politiques de l’université Ibn Tofail