Fracture footballistique

Les U23 sont magnifiques. Épatants. Tout y est. Qualité technique, jeu offensif et cohésion de groupe. Ces jeunes Lions de l’Atlas ont du talent et méritent de gagner la Coupe d’Afrique des nations qui se déroule au Maroc du 24 juin au 8 juillet. Seule petite ombre au tableau, la majorité écrasante des joueurs viennent de l’étranger. Ils ont pour noms Elias Mago, Mehdi Boukamir, Chadi Riad, Redouane Halhal, Ismail Saibari, Abdessamad Ezzalzouli… A part deux ou trois éléments  qui sont issus du Raja, le reste évolue pour la plupart dans  des clubs européens : Standard de Liège, FC Barcelone, Le Havre, HSC Montpellier, PSV Endoven… Du coup, se pose d’emblée les questions qui fâchent : Pourquoi les clubs locaux ne produisent pas l’ossature des U23? A quoi servent-ils si leurs joueurs ne participent pas aux compétitions continentales et internationales ? Les connaisseurs des méandres du foot national dégainent la réponse comme un tir foudroyant : Les joueurs locaux, à l’instar de leurs aînés de l’équipe senior dominée par les joueurs de l’étranger, Hakimi, Ziyech, Amrabat et consorts, ne sont pas assez  performants et compétitifs pour être convoqués par le sélectionneur. A force que les dirigeants recrutent les talents  dans les pays d’accueil ou de naissance au détriment des footballeurs du cru, les Marocains ont fini par accepter non sans résignation l’idée selon laquelle les bons joueurs ne sont que d’importation.

Autrement dit, il faut être un Marocain né en France, aux Pays-Bas, Espagne ou Belgique pour espérer porter  le maillot national. Ainsi en ont toujours décidé les responsables de la FRMF sous prétexte que les footballeurs issus du championnat national manquent de métier. Or, cette thèse est régulièrement démentie par les exploits réalisés en dépit de leurs moyens limités par certains clubs d’élite marocains dans les championnats africains comme le Raja et le WAC qui comptent parmi les plus titrés à l’échelle continentale. Des clubs qui ont pour eux de connaître le terrain du foot africain pour avoir  usé leurs chaussures sur les pelouses des stades de Guinée, Congo, Ghana et autres Cameroun… Et puis, à quoi ça sert d’avoir un championnat si la FRMF ne puise pas dedans pour alimenter l’équipe nationale avec ses meilleurs éléments ? Il faut juste que la fédération joue son rôle jusqu’au bout et élabore le cahier des charges pour qu’un joueur de tel ou tel club mérite de porter le maillot des Lions de l’Atlas. Tendre vers cet objectif suppose de responsabiliser les clubs de la Botola par rapport aux standards  de formation, de management et d’encadrement requis qui chez nous laissent évidemment beaucoup à désirer. Une réforme de fond  est à mener  dans ce domaine avec des règles et des obligations à instaurer en termes de gestion,  de rigueur et de transparence.  

A force que les dirigeants recrutent les talents  dans les pays d’accueil ou de naissance au détriment des footballeurs du cru, les Marocains ont fini par accepter non sans résignation l’idée selon laquelle les bons joueurs ne sont que d’importation.

Cela fait environ deux décennies, du temps où Driss Jettou était Premier ministre, que le passage au professionnalisme se fait attendre, avec des clubs gérés comme des entreprises, qui tiennent leurs assemblées générales et acceptent de se faire auditer. Cette nouvelle étape, promise par les sociétés anonymes sportives, rencontre bien des résistances de la part de ceux qui considèrent les clubs, régies par la loi sur les associations sportives, comme leur propriété, leur chose. Ce qui les encourage à cultiver l’opacité autour de l’argent perçu (Sponsoring, recettes des matchs et financement public…). Ce sont plusieurs centaines de millions de DH qui sont en jeu et dont le sort échappe à tout contrôle. Sans oublier les pratiques de corruption et de népotisme qui sévissent dans ce milieu du fait que les clubs de par leur statut d’association ne sont pas tenus de publier les avis des appels d’offres qui profitent généralement dans le secret total  aux proches et aux amis. Il faudra aussi libérer les clubs de ces présidents qui détiennent en même temps des mandats électifs en décrétant l’interdiction du cumul pour réhabiliter le sport-roi  et en développer la pratique.

Préjudiciable, ce mélange des genres décourage les sponsors et plombe le développement du foot et sa modernisation. L’épopée du Maroc lors du Mondial qatari aurait dû servir de stimulant extraordinaire pour sonner la fin de la récré, en finir avec le laxisme en la matière en obligeant les clubs à opérer leur mue qui ne peut être que bénéfique. Objectif : faire entrer le foot national dans une nouvelle ère en ligne avec les belles séquences de sa consécration planétaire. Le sport-roi au Maroc avec ses deux versants (championnat et équipe nationale) est-il condamné à évoluer en droites parallèles ? Jusqu’ à quand  va-t-il s’accommoder de cette réalité double, voire trompeuse : une botola, sous-développée et peu performante prise en otage par des clubs  gérés comme des épiceries et une équipe nationale issue essentiellement de joueurs de l’étranger dont la technicité fait rugir les lions à l’international ? Ne lui permettant pas de  se construire sur des bases professionnelles solides et pérennes, cette dichotomie ne joue pas en faveur du foot national.  Bien au contraire. Elle porte en son sein les germes de sa fragilité et ne l’immunise guère contre le retour des déceptions du passé.

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