Sans conteste, des ruines d’El Haouz de Tizi N’test, Taliouine et Amerzgane sortira un Maroc encore plus fort, solide et solidaire. Capable, grâce à la mobilisation sans faille du peuple et de son roi, de se projeter dans l’avenir. De ces images d’horreur et de détresse absolues renvoyées par des milliers de rescapés de ce séisme meurtrier qui a endeuillé le Maroc tout entier en suscitant un immense élan de solidarité et de générosité en interne et à l’international, jaillira une vision claire pour le monde rural, talon d’Achille du pays.
Le royaume est un pays millénaire qui en a vu d’autres à travers son histoire mais qui a su à chaque fois face à l’épreuve trouver en lui-même des ressources insoupçonnées pour panser ses blessures et dépasser ses traumatismes. Les charmants villages et les beaux hameaux détruits- dont certains ont été carrément rasés-, qui perdirent des milliers de vies, ont payé dans le fracas terrible de la tragédie le prix de leurs fragilités révélées soudainement au grand jour. Le Maroc peut toutefois transformer ces vulnérabilités en force pour peu que les pouvoirs publics se montrent à la hauteur des défis de la reconstruction. Le chantier est herculéen avec des dimensions complexes, qui requiert une réflexion stratégique et de l’expertise. Il ne faut pas le sous-estimer… Reconstruire ce qui a été démoli par le tremblement de terre mais aussi aider les survivants à se reconstruire sur le plan psychologique pour se remettre de ce terrible traumatisme. Et ce n’est pas le plus facile pour les éclopés du Haut-Atlas et ses milliers d’orphelins en bas âge qui ont reçu sur décision royale le statut de pupilles de la nation. Il y a nécessité en même temps pour l’État de jeter les jalons d’un nouveau bâti rural (maisons et écoles) en veillant au respect des normes de la résilience et les spécificités du cachet local. Dans sa furie, le séisme a détruit aussi des écosystèmes et de la biodiversité d’intérêt communautaire qu’il va falloir aussi restaurer pour permettre aux sinistrés de retrouver leurs moyens de subsistance. Soyons ambitieux et faisons un pari innovant et audacieux sur l’avenir. Avec les montagnes d’argent de la solidarité nationale et internationale, mettons au point avec les concours des experts un prototype du village et du douar du futur avec des espaces de vie tournés vers un développement durable porteur pour nos frères des contreforts de l’Atlas meurtri d’honneur et de dignité.
Au-delà d’une masure solide qui ne doit pas relever de l’auto construction sous peine de reproduire de l’habitat traditionnel de faible qualité, les survivants ont besoin de se réapproprier champs, cours d’eau et pâturages. La reprise en main de leur destin atrocement secoué est à ce prix.
Un projet aussi colossal et structurant implique sans doute une refonte totale de la conception nationale du « développement rural » qui dans sa version ministérielle a englouti des décennies durant des budgets considérables. Sans grand résultat. Comme peut en témoigner l’effondrement effroyable d’une partie de l’arrière-pays du Haut-Atlas et l’étendue du dénuement des sinistrés dont certains ont témoigné spontanément de leur émerveillement devant le déferlement de tant de victuailles et tutti quanti. Disons le tout de go, la tragédie qui s’est abattue sur eux en les écrasant alors que leur quotidien était deja insupportable a braqué les projecteurs nationales et internationales sur leurs conditions de vie miserables. Certes, rien ne peut compenser des vies brisées et la perte d’êtres chers mais l’espoir des rescapés aujourd’hui est de vivre un peu mieux qu’avant… Une nation qui a administré à la face du monde la preuve de sa solidarité exemplaire ne doit pas les décevoir… Ce serait faire preuve de nihilisme que de ne pas reconnaître les efforts colossaux déployés depuis l’avènement de S.M le Roi Mohammed VI en matière d’infrastructures (routes rurales, dispensaires, électrification, eau potable) et de programmes de lutte contre la pauvreté. Mais il est en même temps difficile de ne pas lire dans l’ampleur des ruines du séisme l’expression d’une certaine incurie politique conjuguée à un manque de vision et de dispersion des efforts dans un contexte où les disparités territoriales ne cessent de se creuser…
Le temps est sans doute venu pour la création d’un grand ministère de la ruralité transversal avec secrétariat d’État piloté par un profil technocratique pointu, issu de préférence du Maroc berbère. Sa mission ? La mise en œuvre dans le cadre de l’assistance au développement territorial d’une feuille de route consignant les moyens à mobiliser et les objectifs à atteindre sur le long terme avec présentation d’un bilan d’étape détaillé. El Haouz et Taroudant peuvent servir de régions pilote pour la concrétisation des orientations stratégiques de cette vision qui pour porter ses fruits a besoin d’une gouvernance rurale forte et d’un suivi rigoureux. Les réseaux d’acteurs associatifs, d’élus et d’experts ont un rôle tout aussi crucial à jouer dans l’encadrement et l’accompagnement des populations.
Dans ce Maroc des campagnes, il s’agit, parallèlement au parachèvement des infrastructures essentielles, d’agir principalement sur les facteurs de pauvreté et de précarité. Comment? en y introduisant la formation professionnelle en relation avec les métiers agricoles et de l’agro-tourisme. Le développement durable nouvelle vision passe plus que jamais par la nécessité d’offrir aux enfants du rural un emploi qualifié, sachant qu’une bonne partie des jeunes issus de ces régions, travaillées par une forte dynamique migratoire, exercent de petits boulots dans divers secteurs et triment très dur pour envoyer de l’argent à la famille restée au bled dans les trois Atlas. Le défi, tout le défi est d’ouvrir de nouvelles perspectives de développement rural par l’amélioration du potentiel productif de ce Maroc qui n’a pas eu la part qu’il méritait dans les politiques publiques. À cette noble et salutaire fin, la convocation dans les semaines à venir des États généraux du monde rural ne serait certainement pas une initiative superflue.