L’épidémie du moins-disant

Les appels d'offres de la santé, une opacité chronique...

Pour combattre en amont la fraude et la corruption qui sévissent dans la commande publique, il est nécessaire de faire évoluer le code des marchés publics vers la notion du mieux-disant. Explications.

Le scandale qui a ébranlé le ministère de la santé dont un certain nombre de cadres avec leurs supposés complices dans le secteur biomédical ont été interpellés en mars dernier et mis sous écrou dit un certain nombre de dysfonctionnements de taille. A commencer par le code des marchés publics et sa sacro-sainte règle du moins disant qui fait attribuer le marché à l’entreprise qui propose le meilleur prix. Pour remporter la transaction, il suffit simplement de tirer les coûts au plus bas et c’est cette notion de moins disant qui   favorise de manière intrinsèque fraude, corruption, surfacturations et ententes illicites, surtout lorsque l’offre est anormalement basse. Ce qui est déjà douteux. Prenons par exemple une offre cassant les prix pour la fourniture de scanners. Pour un appareil de référence identique, la fourchette des prix est évidemment énorme, l’écart étant déterminé par un certain nombre de critères, essentiellement la qualité technique de l’appareil, sa fiabilité et sa valeur ajoutée technologique. Le soumissionnaire malintentionné, de mèche avec l’acheteur public du ministère de la Santé, sera tenté de fournir des scanners de moindre qualité avec un prix sensiblement moins élevé que son concurrent qui propose, lui, des scanners performants et fiables avec garantie et maintenance à la clé.  Dans cette vision du moins disant, c’est l’État qui perd sur toute la ligne, puisque les scanners bon marché ne tarderont pas à tomber en panne au bout de 6 mois ou 1 an, et donc seront jetés au rebut pour en commander d’autres (un nouvel appel d’offres doit être lancé)  alors que la situation aurait été meilleure pour les finances publiques mais aussi les services de santé si  le choix s’était porté dès le début sur le dispositif médical de la deuxième entreprise dont les produits ont une durée de vie beaucoup plus longue.  Curieusement, les faiseurs des appels à la concurrence de la santé n’ont pas fait de la maintenance technique du matériel, qui est une prestation fondamentale, un critère d’attribution des marchés, mais préféré la sous-traiter à d’autres sociétés… Autrement dit, le vendeur de l’appareil n’est pas celui qui en assure le suivi et l’entretien. Cherchez l’entourloupe !  

Dérives

Moralité : le code des marchés publics, tel qu’il est dévoyé, est profitable surtout aux enseignes qui produisent, avec la complicité des acheteurs publics, non pas une offre digne de ce nom mais juste des bas prix bas pour des prestations à la qualité souvent médiocre. Dans l’objectif inavoué de siphonner l’argent public en usant de diverses pratiques malhonnêtes. Ce sont ces dernières que s’est vue reprocher la trentaine de cadres, ingénieurs et employés des services centraux et régionaux du département de la Santé, ainsi que la brochette de chefs d’entreprise du biomédical, interpellés récemment. Agissant en bande organisée, les mis en cause, accusés d’avoir détourné l’argent public à des fins d’enrichissement illicite, n’ont fait que s’introduire dans la brèche des dérives permises par la notion du moins disant telle qu’elle peut être appliquée.

Seule solution pour combattre en amont ce qui ressemble à une véritable épidémie de fraude qui ronge la commande publique en général ?  Faire évoluer la passation des marchés publics vers la notion du mieux-disant, fondée sur la technique de pondération des critères de prix et de valeur technique.

Savez-vous que le ministère de la Santé a affaire à quelque 2.000 entreprises spécialisées dans l’importation des dispositifs médicaux ? C’est un chiffre excessif pour un pays de 35 millions d’habitants. Cela veut dire que la commande publique en matière de santé manque de cohérence et ressemble plutôt à un grand bazar. Dans le lot, on trouve de tout, les représentants des géants mondiaux du secteur, des opportunistes de l’importation sans expertise reconnue ni personnel compétent ou de simples enseignes dépourvues de la moindre référence technique, spécialisées juste dans l’achat et la revente. Ces 2.000 sociétés d’inégale valeur se disputent un gâteau d’environ 3 milliards de DH. Pour mettre de l’ordre dans ce foutoir et introduire une bonne dose de transparence dans les appels d’offres, le bon sens gestionnaire commanderait une autre démarche : recourir à des achats groupés du matériel pour l’ensemble des   structures de soins publiques en mettant en concurrence les professionnels du biomédical qui ont pignon sur rue.

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