Près de 20 ans après son lancement, la politique de création des villes nouvelles a tourné à un fiasco monumental. Les multiples plans de relance, mis en place par les gouvernements successifs, n’ont guère contribué à redresser la situation.
Laila Lamrani
La politique de création des villes nouvelles a vu le jour en 2004 sous l’impulsion royale. L’objectif, qui s’inscrit dans une politique volontariste, étant d’alléger la pression démographique sur les grandes villes, à l’image de ce qui s’est passé à Paris, Londres, Le Caire, Shanghai, …) afin de les décongestionner et d’en maîtriser le développement. Le choix des pouvoirs publics s’est porté pour l’accueil de ces nouvelles agglomérations sur des zones rurales situées en périphérie de quatre grandes villes confrontée à une urbanisation massive induite notamment par l’exode rural : Tamesna (région de Rabat), Tamensourt (région de Marrakech), Lakhyayta (région de Casablanca) et Chrafate (région de Tanger). Les immeubles, essentiellement un habitat économique avec des magasins en rez-de chaussée, ont aussitôt surgi de terre sur des étendues de foncier bon marché. Sur le papier, l’idée de villes-tampon était séduisante. Mais côté mise en œuvre de la vision et coordination des services de l’État, le fiasco est total. Les promoteurs immobiliers y ont vu un nouvel Eldorado et s’y sont précipités pour décrocher des marchés juteux.
Là réside l’erreur originelle : La dimension foncière et immobilière était l’unique paramètre qui a sous-entendu la démarche des pouvoirs publics. La priorité a été donnée aux logements et petits commerces alors qu’il aurait fallu d’abord organiser avant le premier coup de pelleteuse la planification en termes d’infrastructures de base et d’activités économiques. Le fait que les villes nouvelles soient pensées comme un dossier purement immobilier est une erreur stratégique qui a affecté leur viabilité et compromis durablement leur développement. Résultat : Le pays s’est retrouvé avec des cités-dortoirs hideuses dépourvues des attributs d’une ville digne de ce nom : moyens de transport, hôpitaux, écoles, universités, cinémas, jardins publics, bibliothèques et centres sportifs de proximité. Le néant.
Par plusieurs endroits, les villes nouvelles ont enfanté des quartiers fantômes en raison des déplacements de nombreux habitants vers des zones offrant un service minimum. Afin de rectifier le tir, le ministère de l’Habitat, alors dirigé par Nabil Benabdellah, a lancé dès 2015, un programme de relance de Tamansourt et de Tamesna, qui devrait s’étendre par la suite à Sahel Lakhyayta (Casablanca) et Chrafate (Tanger). Mais ce dispositif de sauvetage, confié à Al Omrane, le bras armé de l’État en matière d’habitat et d’aménagement, n’a pas permis de redynamiser les villes en question. Le plan comprenait dans un premier temps, moyennant un budget de 1,3 milliard de DH, la réalisation de grands projets structurants devant accompagner la dynamique de développement de la ville nouvelle de Tamansourt, dont des maisons de jeunes, un foyer pour femmes, des centres de santé et des terrains de sports.
Le programme prévoyait aussi la réalisation de salles polyvalentes dans le cadre des projets de logement social, l’aménagement paysager et mobilier urbain, ainsi que le soutien aux activités du tissu associatif. Le plan de redressement de la ville de Tamesna, qui a bénéficié d’une enveloppe budgétaire estimée à 538 millions de Dhs, comprenait la réalisation de 23 grands projets structurants et de proximité, dont entre autres le réaménagement de 5 principaux axes routiers permettant d’assurer un équilibre de la circulation à moyen et long termes, la réalisation de grands projets structurants tels que des équipements publics de base (un campus universitaire, un hôpital local, trois centres médicaux, un centre d’accueil et de conférences, un complexe culturel et un parc), la mise à disposition d’équipements de proximité (maisons de jeunes, foyers féminins, terrains de sport), l’exécution de travaux d’aménagement paysager, minéral et mobilier urbain, le renforcement de la gestion et de l’entretien de la ville (collecte des déchets ménagers, éclairage public, gardiennage et entretien…).
Synergie renforcée
Le ministère de l’Habitat avait aussi mis en place un cadre législatif pour redynamiser ces nouveaux pôles urbains. La grande nouveauté, c’est la création en octobre 2024 d’un comité interministériel des villes nouvelles dont la mission est d’étudier les propositions sur les projets de lois relatifs aux différents domaines d’intervention. Placée sous l’autorité du chef de gouvernement, cette instance est composée des représentants du ministère de l’Intérieur, du secrétariat général du gouvernement, du ministère de l’Urbanisme et du ministère de l’Habitat. En un mot, le comité en question devrait jouer le rôle de chef d’orchestre qui a jusqu’à présent fait défaut dans le développement des villes nouvelles, en assurant assurer l’organisation et la concertation avec les départements et organismes concernés par ces chantiers urbains. Cet organe devra intervenir dès les premiers stades du développement de nouveaux pôles pour évaluer leur opportunité, le choix du site ou encore la viabilité économique (études d’impact et de faisabilité).
Le programme villes nouvelles initié en 2004 a également failli sur l’engagement de lancer quinze villes à l’horizon 2020 puisque seules quatre villes boiteuses ont pu être réalisées. Invitée à s’exprimer devant le Parlement en juin 2022 sur le ratage des villes nouvelles, la ministre de tutelle, Fatima-Zahra Mansouri a indiqué, tout en reconnaissant les lacunes ayant plombé ce chantier, que ses services travaillent sur un nouveau plan de relance de Tamansourt. Un énième plan de rafistolage d’un programme plombé par des défaillances de gouvernance. On attend le prochain plan d’improvisation en béton du prochain ministre !