Dans cet entretien, le président de Casablanca-Settat Abdellatif Maazouz aborde la question de la régionalisation avancée en marge de ses assises organisées récemment à Tanger mais aussi du programme de développement de la région et de ses multiples défis.
Propos recueillis par Laila Lamrani
Quelle est la principale recommandation de la deuxième édition de la régionalisation avancée organisée du 20 au 21 décembre à Tanger ?
Lors de ces Assises, plusieurs recommandations ont été formulées portant notamment sur le parachèvement du chantier de la régionalisation avancée impulsée par la vision éclairée de SM le Roi Mohammed VI, que Dieu l’assiste, en tenant compte bien sûr de toutes les contraintes et les spécificités liées à la mise en œuvre de ce chantier royal. Si j’ai une recommandation à mettre en avant par rapport à cela, ce serait l’accélération de la mise en œuvre de la Charte de déconcentration administrative en vue de renforcer la gouvernance territoriale intégrée. Il est aussi important de parachever l’application de la feuille de route relative au Cadre d’orientation pour l’opérationnalisation de l’exercice par les régions de leurs compétences notamment celles liées aux transports urbain et intercommunal, à l’investissement créateur d’emplois et à l’eau.
De votre point de vue de président de la plus grande région du Maroc, quels sont les préalables et les mécanismes qui conditionnent une régionalisation avancée efficiente ?
Une régionalisation avancée efficiente est porteuse d’une meilleure convergence des politiques publiques à travers leur déclinaison au niveau des territoires. Doter les Régions (Conseils régionaux et services décentralisés) de plus d’autonomie d’actions encadrée par les outils de programmation (SRAT, PDR et budgets) existants. Inciter les régions à s’approprier les principales prérogatives propres et approfondir leur déploiement dans l’ensemble des territoires ; c’est la seule façon d’assurer l’inclusion des territoires ruraux dans le processus de développement que connait notre pays sous la conduite éclairée de SM le Roi Mohammed VI. Ceci ne peut se faire sans la disponibilité des ressources humaines et financières nécessaires pour la mise en application de ces politiques. Dans ce contexte, notre Programme de Développement Régional (PDR) 2022-2027 vise à accroître le rôle de locomotive de la Région Casablanca-Settat, comme le traduit si bien notre vision du PDR : « Casablanca-Settat : Région accélératrice du développement territorial inclusif et durable, sur les plans économique et humain ». Aujourd’hui, le temps est à la synergie entre toutes les forces vives pour réussir ce chantier royal, à travers notamment la mise en œuvre d’une approche participative au niveau régional et local, en plus de la promotion proactive de l’attractivité territoriale des régions et leur capacité de à drainer et à diversifier des financements pérennes et innovants à même de faire face aux défis d’aujourd’hui et de demain, tel que cela a été préconisé par la deuxième édition des Assises Nationales de la Régionalisation avancée.
Vous avez pris les rênes de la région Casablanca-Settat en septembre 2021. Quel est votre état d’esprit trois ans après la prise de vos fonctions?
Je suis dans un état d’esprit fait de combat et d’engagement pour le développement de la région et réduire les écarts entre ses différentes composantes. Ce n’est pas toujours facile, je l’avoue, compte tenu des contraintes que nous rencontrons mais c’est un défi que nous devons en tant que première région du pays de relever dans l’intérêt de la population et pour l’essor du pays et son rayonnement économique.
De la batterie de projets couvrant tous les secteurs approuvés par le Conseil régional session ordinaire du mois d’octobre dernier pour l’exercice 2025 se dégage le souci de la cohésion territoriale. Comment se décline cette vision stratégique sur le terrain au profit des provinces composant la région ?
Concernant la planification du PDR et son déploiment, je prends les deux cas les plus extrêmes pour illustrer mes propos.Le Grand Casablanca, pôle dynamique, qui fonctionne bien et qui souffre d’un problème lié à l’aménagement du territoire et qui devient de plus en plus cher et hors portée de la classe moyenne. Dans notre schéma du territoire, on veille à ce que le grand Casablanca, allant de Nouaceur jusqu’à Mohammedia, soit adossé à des activités à forte valeur ajoutée offrant un emploi assez rémunéré pour faire face à un coût de la vie élevé. On a, par exemple, le pôle Casa Finance City, avec son quartier moderne des affaires, ses magasins, ses bâtiments et restaurants. Le pôle Nouaceur, lui, est dédié aux métiers mondiaux du Maroc, notamment l’aéronautique, et la recherche. Et un niveau moins important, à Zenata, qui est en train de se construire sur le même modèle économique sans oublier bien sûr le centre de Casablanca.
Bien sûr, cela ne se fait pas tout seul ou en un claquement de doigts, il y a un grand travail derrière, des investissements, de la planification et une batterie de mesures incitatives. Ce schéma concerne, si j’ose dire, les cas favorables. Pour les cas extrêmement défavorables, la région compte plusieurs communes entre Settat, Benslimane et Sidi Bennour dont une soixantaine sont presque sinistrées. Ici, les choses manquent d’ordre et d’organisation et les conditions générales ne sont pas à la hauteur des ambitions d’une région comme Casablanca Settat. Nous nous sommes mobilisés pour ces territoires marginalisés pour les doter d’infrastructures de base comme l’eau potable, l’éclairage, l’assainissement public, les écoles, le préscolaire, les centres de santé et des zones d’activité de proximité pour permettre aux habitants de travailler et de créer de l’emploi.
Qu’en est-il des autres territoires de la région ?
Les autres composantes de la région sont bien organisées avec une feuille de route de développement assez claire. Il s’agit de Benslimane, une province qui se distingue par son microclimat et sa vocation écologique, est orientée, conformément aux hautes orientations royales, vers les activités durables comme le sport, la santé et le bien-être. Deux autres provinces, El Jadida et une partie de Sidi Bennour, sont plutôt tournées vers les activités industrielles intensives, la grosse industrie destinée à l’export et le tourisme grâce aux attraits culturels et le potentiel balnéaire offert par les sites de Oualidia, Azemmour et Mazagan.
Le noyau dur de l’agriculture et l’élevage se trouve dans la province de Settat ; la partie sud de Berrechid et la partie est de Sidi Bennour offrent des atouts réels pour le développement d’une activité agricole avec des produits valorisés à l’export et un tissu d’industries de transformation. La création d’une zone industrielle à Settat sur une superficie de 50 hectares et une autre à Ben Ahmed s’inscrivent dans le cadre de cette vision. Nous travaillons aussi sur deux zones similaires à Sidi Bennour et Berrechid. Cette province est déjà dotée d’une plate-forme agro-alimentaire de 300 hectares et d’un marché de gros nouvelle génération. Dans la commune rurale de Laghdira, à El Jadida, nous avons créé une zone industrielle de 257 hectares qui vient renforcer la dimension internationale de l’activité industrielle dans la province. Toutes les forces vives de la région œuvrent pour concrétiser les projets programmés dans chacune des provinces dans le respect de l’identité de chaque territoire.
Qu’en est-il du désenclavement qui conditionne le développement d’une région ?
Le désenclavement fait partie des priorités du conseil régional, conscient du fait que certains territoires de la région ont besoin d’être sortis de leur isolement afin d’être mieux insérés par la construction de nouvelles routes. Pour relever ce défi, la région a mobilisé des financements conséquents : quelque 2,1 milliards de DH pour relier des communes et leurs douars, une enveloppe de 1 milliard de DH pour le raccordement aux réseaux d’électricité et d’eau potable et 1,5 milliard de DH pour le réseau d’assainissement.
En tant qu’ interlocuteur unique, la société régionale multiservices (SEM) nous a facilité la tâche, en ce qui concerne les dispositions réglementaires vis-à-vis des zones concernées.
Êtes-vous satisfait en tant que président du conseil régional du degré d’implication des autres collectivités territoriales, notamment la commune, dans le processus de développement et de mise à niveau de leurs territoires respectifs ?
Dans les collectivités territoriales en général, nous souffrons d’un problème de compétences qui est encore plus aigu dans les communes rurales. Dans ces petites entités, les compétences humaines pour préparer des dossiers, tout comme les ressources financières, font cruellement défaut. C’est auprès de notre région qu’elles sollicitent que ces communes démunies trouvent le conseil et l’expertise dont elles ont besoin.
Certes, on agit du mieux qu’on peut pour aider dans le cadre du PDR ( Plan du développement régional). Mais on n’a pas toujours les coudées franches face à une réalité communale souvent plus complexe du fait de manque de moyens.
Qu’est-ce que vous pouvez faire avec un excédent de 10 à 15 millions de DH ? Ce n’est même pas le budget pour construire un Souk !
J’en suis à ma quatrième année de mandature et je peux vous assurer que les moyens n’ont pas évolué, c’est toujours le même budget alors que les attentes à tous les niveaux sont devenues nombreuses.
Mais comment vous arrivez à affronter cette situation d’insuffisance des ressources ?
J’ai eu de la chance d’avoir hérité de mes prédécesseurs d’un excédent de 10 millions de DH qui nous a permis de financer les premiers besoins extra budgétaires des premières années. Agissant en fonction des moyens qui lui sont alloués, et ils ne sont pas considérables, la région ne peut pas répondre hélas à toutes les attentes que ce soit en termes d’orientations publiques ou des attentes des communes défavorisées. Surtout que l’organisation par notre pays de la coupe du monde en 2030 a imposé des projets supplémentaires pour la région qui participe, aux côtés d’autres acteurs, avec une contribution de 1 milliard de DH pour les infrastructures. Le processus en est encore à ses débuts. Les infrastructures sont importantes car elles agissent comme un catalyseur et un accélérateur du développement.
Mais dans quelle mesure ces infrastructures sont-elles utiles et déterminantes dans le décollage et l’essor de la région ?
Vous savez dans la théorie économique, la fonction d’utilité est subjective. L’utilité se définit et s’apprécie à l’aune d’une vision, par rapport à un objectif. Casablanca-Settat est une grande région qui compte 154 communes y compris celle de Casablanca. Notre vision, partagée par les différents acteurs et partenaires, consiste à agir pour préserver son leadership et son chef-lieu, Casablanca, comme hub national et continental de premier plan. Ce leadership auquel nous sommes très attachés est multidimensionnel : économique, social, politique, infrastructurel. Il s’exprime aussi dans le cadre de vie, les métiers et les diverses opportunités offertes dans différents secteurs. Le Maroc se distingue en tant que leader régional dans le domaine de la formation des compétences.A l’échelle de la région Casablanca-Settat, nous sommes leaders dans plusieurs métiers, un acquis qu’il faut développer et créer de nouveaux.Dans les nouveaux métiers mondiaux du Maroc, Casablanca est devenu une plateforme de l’aéronautique que nous devons préserver . Nouaceur, son lieu d’implantation, ce n’est pas seulement des ateliers de fabrication. Derrière cette activité à haute valeur ajoutée s’est développé tout un écosystème. De la recherche, de la formation professionnelle et universitaire, des investisseurs, des moyens de transport, des commerces, des lieux de loisirs, un cadre de vie… Le développement appelle le développement… C’est un cercle vertueux qui se construit sur le long terme et ne se décrète pas.
En 2014, SM le Roi Mohammed VI a lancé le Plan de Développement du Grand Casablanca (PDGC). Où en est ce grand chantier ?
Je dois avouer que le PDGC a, sur certains projets, pris du retard par rapport à l’échéancier initial. Nous sommes en train de mettre les bouchées doubles pour rattraper ce retard.Oui, les projets lancés par notre pays dans le cadre de la région sont utiles en ce sens qu’ils profitent d’abord au citoyen et à la collectivité et concurrent à leur bien-être. C’est le cas par exemple d’un parc bien entretenu et arrosé régulièrement. Les gens sont contents d’avoir un espace de respiration et de détente. Les stades nouvelle génération, à l’image de celui de Benslimane, son en train de se construire. Les terrains de proximité se généralisent…
Le stress hydrique qui frappe le Maroc nous fait réaliser l’importance stratégique de recourir au dessalement et à développer les STEP… Comment vous gérez, à l’échelle de la région, cette grosse problématique de rareté de l’eau?
Le stress hydrique n’est pas une surprise pour nous, mais ce qui nous a surpris le plus c’est son ampleur. Un budget de 27 milliards a été alloué à tout ce qui est ouvrages de connexion, bassins, barrages et stations de dessalement en 2010. Mais ces projets ont connu un retard quant à leur exécution. SM le Roi Mohammed VI est très directif sur ce dossier hautement stratégique dont il suit lui-même les chantiers et leur évolution.
e par sa croissance démographique et sa vocation économique et industrielle, Casablanca-Settat est la région qui souffre le plus du stress hydrique avec un rapport de réserves d’eau rapporté à la population des plus faibles. Les pouvoirs publics ont pris les choses en main, en adoptant des solutions à court et à long terme, pour atténuer les effets de ce stress sur les populations et le secteur agricole. Dans le court terme, il a fallu se résoudre au dispositif de transfert d’eau depuis le périmètre Saiss -Bouregreg pour alimenter la partie nord de Casablanca, tandis que la partie sud s’est fait approvisionner par la centrale de dessalement d’El Jadida. Pour le long terme, la région Casablanca-Settat mise sur 32 stations de dessalement dont quatre sont déjà opérationnelles., Pour la réutilisation des eaux usées, la région dispose de trois STEP, une station à Médiouna, une autre à El Hank et une autre station en cours de réalisation à Zenata.
En fait, l’urgence hydrique nous pose en tant que pays et région des défis colossaux qui nous poussent à s’adapter au changement climatique, à agir dans la diligence et l’efficience et en tant que, citoyens-consommateurs, à rationaliser l’usage de cette denrée précieuse.Les gens ne savent pas qu’on a passé les mois d’août, septembre et octobre derniers à gérer avec parcimonie au jour le jour les réserves d’eau dans la région. Face à cette situation critique, OCP nous a été d’un grand secours et je tiens à cet égard à remercier le management du groupe qui a réduit ses propres besoins en eau pour alimenter El Jadida, la commune de Moulay Abdallah et Azemmour qui étaient presque à sec.Il faut aussi rendre hommage au Wali de la région qui a été pour nous un formidable accélérateur dans la réalisation de plusieurs projets d’infrastructures et une force de proposition experte et expérimentée.
Quels sont les facteurs-clés de l’attractivité de la région Casablanca-Settat et dans quelle mesure ils peuvent contribuer à sa compétitivité dans un contexte d’exacerbation de la mondialisation ?
Il faut préciser que Casablanca est née avec une vocation de métropole mondialisée puisqu’elle s’est construite dès le départ autour d’un port de dimension internationale. La mondialisation est inscrite dans l’ADN de Casablanca. C’est naturellement qu’elle représente le moteur économique du pays, son hub financier et son premier pôle industriel, médical et universitaire. Casablanca c’est aussi une plate-forme d’échange continentale et d’export vers d’autres pays… Tous ces atouts font de la région Casablanca-Settat un territoire à vocation mondialisée avec des ambitions de leadership incontournable qu’il faut défendre, préserver et développer. La région compte trois grands ports, celui de Casablanca, celui de Jorf Lasfar d’El Jadida et celui de Mohammedia.
Hub aérien international, l’aéroport Casablanca Mohammed V sera renforcé par la construction d’un nouvel aéroport d’une capacité de 20 millions de passagers. A ces plateformes, il faut ajouter l’aéroport de Benslimane et le petit aéroport de Tit Mellil. Côté routes et autoroutes, la région bénéficie d’une bonne connectivité que le rail viendra enrichir et renforcer par le projet de la nouvelle liaison LGV Casablanca Marrakech. D’ici 2029, la région sera équipée de la plus grande gare multimodale d’Afrique où se rencontreront tous les modes de transport. Casablanca-Settat vaut sincèrement le détour. Elle regorge de divers attraits qui en font une destination non seulement d’affaires mais également un haut lieu privilégié pour la pratique d’autres formes de tourisme comme le tourisme médical ou le tourisme culturel et rural.
Vous avez parlé du leadership économique de Casablanca. Un leadership fort et durable suppose aussi des ressources humaines qualifiées. Comment la région interagit avec cette question capitale dans un contexte de mondialisation des compétences?
Sur ce sujet, je vais enlever, si vous permettez, ma casquette de président de région et mettre la casquette d’ancien ministre des MRE. La force du Maroc réside dans son ouverture qui se traduit forcément par une mobilité in et out, entrante et sortante. A partir de là, il n’y a pas de honte à chercher des compétences là où elles se trouvent, surtout que le Maroc est un pays attrayant où il fait bon vivre.
La coupe du monde 2023 va certainement renforcer cette ouverture…
Pour moi, la Coupe du monde se résume en deux maîtres- mots : un catalyseur et un accélérateur. Un catalyseur parce que cet événement sportif planétaire permettra au royaume de mieux se positionner mondialement et un accélérateur parce qu’il fera gagner à notre pays bien des projets d’infrastructures et de développement de classe mondiale qu’on n’aurait pas pu réaliser en temps normal et dans un contexte d’absence de pression.