Si Hassania Union Sport d’Agadir (Husa) a évité le pire en ne tombant pas en deuxième division, ses anciens dirigeants, eux, sont tombés bien bas. Enquête.
Ahmed Zoubaïr
Scènes de liesse et de joie intenses au Grand Stade d’Agadir à l’issue du match barrage retour ayant opposé samedi 31 mai 2025 le Hassania Union Sport d’Agadir (Husa) au Raja de Beni Mellal (RBM). La fête s’est poursuivie dans les vestiaires avec des moments de camaraderie partagés avec certains membres du staff technique et de direction qui ont contribué à la construction de cette victoire inestimable.
Or, la Husa, contrairement à ce que l’on peut penser de prime abord, n’a pas remporté de trophée mais elle a évité en sortant victorieuse (1-0) de cette rencontre une véritable catastrophe préjudiciable pour l’image de la ville : la relégation. Une perspective menaçante que beaucoup redoutaient à Agadir, plusieurs jours avant le match fatidique. Au point que le wali de la région, l’excellent Saaid Amzazi s’est impliqué personnellement dans ce dossier pour galvaniser les joueurs qui, il faut le dire, avaient une pression monstre sur les épaules…
Bien plus que l’estime de leur public, ces joueurs, dont certains étaient en larmes, méritent franchement la médaille du courage et de la persévérance. Pour avoir réussi à se maintenir en première division de la Botola Pro Inwi en bravant les pires difficultés et elles ne sont pas minces. Loin s’en faut…
D’abord, les finances catastrophiques du club plombées par une dette colossale globale d’un montant de 103 millions de DH. La situation était telle qu’il a fallu désigner l’homme des missions difficiles, l’intraitable Said Scally, ex-président du CRT d’Agadir et figure locale et nationale de l’industrie touristique, pour assainir les comptes, remettre le club sur pied et le sauver d’une faillite imminente. Une mission d’audit salutaire qui lui a été confiée en sa qualité de membre du Conseil d’administration de la société sportive de Husa et de son porte-parole par le sponsor officiel du club, Afriquia de Aziz Akhannouch. La décision était intervenue dans la foulée de la destitution le 11 novembre 2023 sous la pression des supporters du président Amine Dor qui avait succédé à Habib Sidinou en février de la même année. C’est la gestion de ces deux précédents bureaux qui a été pointée du doigt dans le rapport d’enquête Scally. Chiffres et faits à l’appui. Salaires et primes de joueurs non-réglés, prestations de fournisseurs impayées des années durant… Le passif est lourd, le déficit considérable. Le bilan de ce droit d’inventaire sans concessions a fait l’objet d’une sortie médiatique explosive, sans langue de bois, qui a fait l’effet d’une bombe dans le landernau local dont les acteurs sont très peu habitués à ce type d’exercice.
Connu pour son efficacité et sa droiture, Said Scally est du genre à aller droit au but en appelant un chat un chat au nom de l’obligation de transparence et du droit des supporters de savoir ce qui se passe dans le club et pourquoi la Hassania a failli sombrer après avoir cumulé les échecs… L’héritage mis au jour est constitué d’ une dette colossale globale d’environ 103 millions de DH ! Dans le lot des créances figurent 24 dossiers devenus litigieux pour une valeur d’environ 40 millions de DH. Certains d’entre eux ont été déjà jugés par la justice se rapportant essentiellement au dû des joueurs dont plusieurs ont quitté Husa pour d’autres clubs nationaux, arabes et européens . « Bien des infractions financières qui pourraient relever du pénal ont été débusquées dans la gestion passée du club », explique une source proche de l’affaire qui a insisté sur le fait que le nouveau bureau, dirigé depuis décembre 2023 par Belaid El Fakir, a pris ses nouvelles fonctions sans cérémonie de passation des pouvoirs en héritant d’un club empêtré dans une profonde crise financière. Un véritable cadeau empoisonné.

Le wali Saaid Amzazi galvanisant les joueurs à la veille
du match barrage décisif.
La tâche de la mission de sauvetage pilotée par M. Scally était très compliquée en raison de la non-remise des documents comptables et autres contrats juridiques indispensables pour reconstituer l’historique des dossiers de conflit. Cette situation étrange laisserait suggérer une dissimulation de documents ou simplement leur inexistence du fait de transactions au noir… Dans son rapport d’enquête sur le club gadiri, la ligue nationale de football professionnel a d’ailleurs fait mention de ce problème en écrivant noir sur blanc qu’aucun « reporting juridique » ne lui a été fait par les dirigeants de la Hassania depuis deux ans. Seule solution pour M. Scally et son équipe : s’appuyer sur les quelques procès-verbaux fournis par la ligue pour reconstituer une partie des archives du club et à partir de là entrer en contact avec les joueurs créanciers en vue de leur proposer un compromis financier . Il s’agissait en substance de les convaincre de renoncer à une partie de leurs droits, que les dommages et intérêts ont gonflés, en tenant compte de la mauvaise passe financière de Husa. C’est le cas entre autres de certains dossiers litigieux de joueurs comme Ayoub El Mellouki, Zouhair Chaouch et Saifeddine Alami El Alami, dont la créance individuelle envers le club ne dépassait pas les 800.000 DH sous l’époque du président Sidinou (2013-2023).
Après avoir été définitivement jugés (première instance, appel et cassation) lors de procès boycottés curieusement par l’avocat du club, la dette initiale des joueurs en question (période 2019-2021) a augmenté de manière vertigineuse, atteignant respectivement 3.650.000 DH, 2.420.000 DH et 2.220.000 DH. Le déficit du club a été aggravé par 7 autres contentieux FIFA liés aux transferts de joueurs d’un montant de 4 millions de DH. Encore plus troublant est le cas d’un attaquant du nom de Karim El Berkaoui qui a fait l’objet d’un transfert en Arabie Saoudite pour un montant de 4.500.000 de DH. L’argent a été bel et bien viré sur les comptes du club mais l’ex-joueur de Husa ne touchera pas les 10 % du montant du transfert qui lui ont été promis, soit la somme de 450.000 DH, ni les 115.000 DH au titre de sa dette envers Husa malgré la reconnaissance de dette qui lui a été signée par l’ancien bureau dirigé par Habib Sidinou. La question se pose sur la partie qui a empoché l’argent revenant de droit à El Berkaoui qui a dû finalement renoncer à la moitié de son dû dans le cadre de la négociation avec le chef de la mission de sauvetage. La même question de pose sur le sort des recettes du loyer de la galerie Al Inbiat, propriété de Husa, qui n’ont jamais été versées dans les caisses du club… Pour Said Scally, cet aspect problématique n’est qu’une goutte dans un océan d’incohérences comptables à l’image de l’affaire de ce médecin qui réclame les arriérés de loyer de ses appartements pour le compte du club… Mais d’où sont venus les fonds exceptionnels ayant servi à apurer le passif colossal du club ? L’entreprise Afriquia, le sponsor officiel de l’équipe. Qui au-delà de cette remise à flots vitale destinée à effacer les ardoises, soutient Hassania à hauteur de 20 millions de DH par an, soit environ la moitié du budget du club. Un budget constitué de 10 millions de DH issus de la région, 5 millions de DH de la commune d’Agadir et 8 millions de DH accordés par la ligue de football au titre des droits TV.
Sur le maillot de l’équipe seule figure la marque commerciale du sponsor officiel ! Et Dieu sait que Agadir regorge de grosses fortunes soussies pur sucre ! Mais ces nababs ont ceci de particulier qu’ils ne contribuent pas à la trésorerie du club ni à son rayonnement. A commencer par Karim Achengli, le président actuel de la région, un heureux et riche héritier, le très discret patron de la CGEM Souss-Massa Driss Bouti. Ceux-là et leurs congénères sont adeptes tous les deux du « Vivons heureux vivons cachés » et fidèles gardiens du fameux proverbe « un sou ou est un sou.» La contribution à la vie sociale et communautaire de la cité, ils l’ont sous-traité depuis longtemps au patron d’ Akwa Group, le seul opérateur économique originaire de la région à sortir le chéquier pour sponsoriser et rembourser ce qui ressemble à de fausses dettes et des mécomptes en pagaille… Un passif douteux que Saïd Scally s’est attelé pendant un an et demi à apurer jusqu’au dernier centime au prix d’un grand parcours du combattant. Avec l’art, la manière et la rigueur qu’on lui reconnaît. « Au 30 mai 2025, la société sportive du club affiche une situation financière assainie, sans aucune créance ni litige », lâche-t-il, satisfait du travail accompli… « Husa peut aborder la prochaine saison avec un nouvel état d’esprit », ajoute-t-il.
Une année de galère pour Hassania
Deux fois champion du Maroc, Hassania a perdu de sa superbe depuis plusieurs années. Le club, qui vient de s’attacher les services du directeur sportif Laurent Déchaux, joue pratiquement le maintien à chaque saison. Une situation pénible pour son public qui veut voir son équipe jouer les premiers rôles. Mais pour les mauvais résultats de la saison 2024-205, Husa bénéficie de circonstances atténuantes puisque l’équipe a vécu une véritable galère en raison de la fermeture du stade Adrar pour travaux.
Ce qui a obligé les dirigeants du club et le gouverneur de la préfecture d’Agadir Idaoutanane à se démener à chaque fois pour trouver des stades de rechange pour les matchs à domicile en dehors d’Agadir. Comme solution provisoire, on leur a proposé au départ Safi pour toutes les rencontres à domicile en attendant la réouverture du stade d’Agadir. Mais une fois sur place, les joueurs n’ont pas trouvé à leur grande surprise où dormir ni où s’entraîner. Quand il a fallu recevoir Difaa Hassani El Jadidi s’est posé de nouveau le casse-tête du stade. On se rabat sur Berrechid. Réponse négative : Le stade est fermé. On cherche vainement du côté de Mohammedia et de Khemisset. La solution est enfin trouvée, Laâyoune distance d’Agadir de 632 kilomètres ! Qu’à cela ne tienne. Mais cinq jours avant le match, alerte de la ligue professionnelle de football : Impossible de se déplacer à Laayoune. La raison ? Le stade n’est pas équipé de la VAR. Plus kafkaïen que ça, tu meurs !

Pour ses matchs à domicile en dehors d’Agadir, l’équipe a parcouru un peu plus de 28.000 km!
Jetez un coup d’œil au calendrier des matchs de la saison 2024-2025 et vous réaliserez aussitôt que toutes les équipes connaissent à l’avance où elles vont jouer, sauf le Hassania d’Agadir qui doit attendre la dernière minute pour connaître où elle va recevoir son adversaire ! Et pour dénicher le stade, il faut intervenir, supplier, suer, stresser… Ce n’est plus du foot, c’est une punition. Ce n’est ni sérieux, ni acceptable !
Cette absence de visibilité et ce qu’ elle implique comme conséquences fâcheuses a privé les joueurs de la Hassania d’un minimum de confort et de sérénité nécessaires pour aborder un match dans des conditions optimales. C’est ce qui explique en grande partie les mauvais résultats de Husa. « Husa est la seule équipe de Botola Pro Inwi à avoir affiché pour le compte de la saison 2024-2025 un kilométrage impressionnant au compteur : 28. 851 km ! », révèle Said Scally, qui ironise en ajoutant que la Hassania n’était pas loin d’approcher le tour de la terre qui est de 40 075 km ! Un record d’un autre genre, qui mérite de figurer dans le Guiness, à mettre à l’actif de cette équipe de haute résistance qui en a vu décidément de toutes les couleurs… Dans de telles conditions, se maintenir en première division est une grande prouesse.