En guise de protestation contre l’adoption par le gouvernement du projet de loi sur le droit de grève, quatre syndicats, dont l’UMT et la CDT, ont lancé un appel pour une grève générale. Cette mobilisation syndicale inédite intervient dans un contexte social marqué par la vie chère.
Laila Lamrani
En surchauffe, le front social organise la riposte contre l’adoption par le gouvernement du projet de loi contesté relatif à l’exercice de droit de grève. Quatre centrales syndicales, l’Union marocaine du travail (UMT), la Confédération marocaine du travail ( CDT), l’Organisation démocratique du travail (ODT) et la Fédération des syndicats démocratiques (FSD) ont appelé dimanche 2 février à une grève générale les 5 et 6 février dans les secteurs public et privé. Une décision radicale, qui lance officiellement un bras de fer avec le gouvernement, à l’issue de la convocation de leurs instances exécutives . Seule l’Union générale marocaine du travail (UGTM), affiliée à l’Istiqlal qui fait partie de la coalition gouvernementale, ne s’est pas jointe à ce mouvement. Bonjour l’indépendance syndicale !
Deux jours de grève sont de nature à provoquer une paralysie dans plusieurs secteurs stratégiques comme les transports, l’administration publique, les services de santé et l’enseignement. Cela fait 35 ans que le Maroc n’a pas connu de débrayage national, le dernier, de triste mémoire, de décembre 1990, a tourné au drame (lire encadré).
La goutte qui aura fait en 2025 déborder le vase de l’exaspération syndicale est l’adoption en commission vendredi 31 janvier à la deuxième Chambre du projet de loi sur la grève sans prendre en compte des amendements de fond proposés par les principaux syndicats allant dans le sens de la protection du droit de grève et la garantie des libertés syndicales.

Akhannouch-Moukharik : La fin de l’entente…
Cette fronde syndicale qui s’organise n’a pas dissuadé le gouvernement de retirer le texte de la discorde de la plénière à la deuxième chambre où il a été adopté lundi 3 février avec 41 voix pour et 7 contre après le retrait du groupe UMT de la séance en guise de protestation.
Restrictions
Dans son communiqué au ton virulent, l’UMT dénonce «un contournement de l’institution du dialogue social où devait être discuté le projet de loi sur la grève pour le faire adopter [par le gouvernement] via des méthodes détournées en s’appuyant sur une majorité numérique à la première et la deuxième Chambre ».
De son côté, un dirigeant d’une fédération syndicale fustige un passage en force visant à déposséder la classe ouvrière, à coups de restrictions flagrantes, du seul droit qui lui reste : celui de la grève pour défendre ses droits. Dans leurs communiqués respectifs, les principaux syndicats, l’UMT et la CDT, justifient leur appel au débrayage national par « la vie chère qui a contribué grandement à la détérioration du pouvoir d’achat de la classe ouvrière et des masses populaires ».
Dans ce sens, l’UMT plaide pour un plafonnement des prix et la lutte contre la spéculation qui appauvrit les salariés et la population.
Pour contribuer à décrisper le climat social, le premier syndicat du pays réclame la suspension du vote et de l’adoption du projet de loi sur la grève tout en invitant le gouvernement «à ouvrir un dialogue sérieux et responsable pour aboutir à des accords engageants qui répondent aux aspirations de la classe ouvrière en termes de valorisation des salaires et des pensions de retraite ».
Lors d’une conférence de presse, animée lundi 3 février au siège de la centrale syndicale à Casablanca, le leader de l’UMT Miloudi Moukharik a expliqué sur un ton grave empreint de colère les raisons à l’appel à une grève nationale les 5 et 6 février. «On a été obligé par les forces de l’argent et les lobbies d’influence» d’appeler à cette mobilisation, a-t-il déploré, dénonçant « un simulacre de négociations » [menées par le gouvernement], via le ministre de l’Emploi destinées à « la consommation médiatique ».
Les propos de M. Moukharik exhalent une grande exaspération face à «l’attitude irresponsable du gouvernement et aux diverses manifestations de ses politiques publiques impopulaires», aggravées par l’adoption du « triste projet de loi » sur le droit de grève.
La grève générale n’est qu’une étape dans le processus d’autres étapes à venir, prévient l’UMT qui fait allusion dans son communiqué de dimanche à la saisie éventuelle, si le gouvernement s’entête dans sa démarche « irresponsable», des instances internationales, notamment la Conférence internationale du travail (CIT), l’instance décisionnelle suprême de l’OIT, basée à Genève, où le conflit sur le droit de grève pourrait être porté. Que va faire le gouvernement face à la détermination et à la combativité de ce nouveau front syndical qu’il a réussi à unifier?
1990 une grève générale et des morts…
Le 14 décembre 1990 une grève générale de 24 heures touche nombre d’entités du secteur privé et d’administrations publiques, à l’appel lancé conjointement par la Confédération démocratique du travail (CDT) et l’Union générale des travailleurs du Maroc (UGTM), affiliés respectivement à l’USFP et l’Istiqlal.
Cette action de contestation, dont la principale revendication est une augmentation de 100% du salaire minimum, est intervenue, une année après le mémorandum de réformes politiques et constitutionnelles signé entre le premier secrétaire de l’USFP Abderrahim Bouabid et le secrétaire général de la Balance, M’Hamed Boucetta.
Mais les manifestations dégénèrent en émeutes dans plusieurs villes, notamment Fès et Tanger, où les dégâts sont considérables et les affrontements avec les forces de l’ordre particulièrement violents.
Tout avait commencé par des jets de pierres contre les forces de l’ordre, qui avaient, d’une manière un peu trop voyante, tenté de » casser » la grève. Très vite débordées, elles durent faire appel à l’armée. Jusqu’à nouvel ordre, la capitale spirituelle du pays est placée sous haute surveillance militaire. Le bilan de cette folle journée est lourd.
Bien que le bilan officiel chiffre à cinq le nombre des tués à Fès, l’opposition l’estime à quarante-neuf. Le premier bilan officiel des autorités faisait état de cinq morts et plus de cent blessés à Fès. Un chiffre revu à la hausse, quelques mois plus tard. Une commission d’enquête parlementaire conduite par l’ancien premier ministre Maâti Bouabid, alors secrétaire général de l’Union constitutionnelle (majorité), faisait état d’une quarantaine de décès.
Le 17 décembre 1990, Azzedine Laraki, alors Premier ministre, annonce la création d’une commission d’enquête « pluraliste » et promet en même temps une valorisation des salaires. A l’issue de ces événements, quelque 450 manifestants impliqués dans ces troubles ont été déférés devant les tribunaux. Les condamnations oscillent entre un mois et 10 ans d’emprisonnement.