Il est étonnant que Ouarzazate, la cité à la lumière magique, mondialement connue grâce aux superproductions hollywoodiennes qu’elle accueille depuis le début des années 60 reste enserrée dans un carcan paralysant…
Ahmed Zoubaïr
En ce début de mois de mai, en plein printemps, il fait un temps splendide à Ouarzazate. Il est 11 heures 30. Un groupe de touristes descend nonchalamment d’un autocar garé sur le parking d’un grand hôtel. Un peu plus loin, quelques clients, attablés à la terrasse d’un café-restaurant, sirotent des jus et des thés à la menthe. Bien que son arrière-pays regorge d’attraits, mélange captivant d’oasis, de vallées verdoyantes et de kasbahs millénaires en pisé, Ouarzazate n’a pas les taux de fréquentations touristiques à la hauteur de sa renommée et de ses attraits.
Ni de son emplacement stratégique, au seuil du grand sud et au carrefour des belles vallées du Dadès, du Drâa et de l’oued du même nom. C’est le grand paradoxe de la « porte de Ouarzazate » qui ne cesse d’alimenter le mécontentement des opérateurs locaux qui soupçonnent un complot de silence contre Ouarzazate. « Les touristes qui viennent qui ne sont pas aussi nombreux qu’on est en droit de l’espérer traversent juste la ville et dans le meilleur cas y passent la nuit avant de repartir le lendemain pour des excursions vers l’arrière-pays », se désole un chauffeur de taxi qui pointe le principal facteur qui, de l’avis des professionnels locaux et des experts du secteur, entrave le développement du tourisme à Ouarzazate : l’aérien. Avec des vols directs internationaux par semaine qui se compte sur les doigts d’une main (Paris, Marseille, Barcelone et Londres), la destination ne pouvait objectivement décoller nonobstant son potentiel touristique et cinématographique extraordinaire et sa vocation de cité qui a tout pour séduire le touriste en quête de quiétude et d’authenticité.

« Sans effort conséquent sur la connectivité aérienne, Ouarzazate est condamnée à vivoter comme ville-étape accueillant des excursions d’une journée au départ de Marrakech », explique un opérateur local qui considère que la ville reste mal desservi en interne ! Cet embargo aérien qui dure et perdure a compromis l’éclosion d’une activité touristique dynamique et prospère au bénéfice des populations locales et condamné l’industrie du cinéma locale à tourner au ralenti. Transformée malgré elle en petite ville de passage alors qu’elle possède les attributs d’une cité de séjour, Ouarzazate se retrouve avec des hôtels aux prises avec un taux d’occupation autour de 23% contre 71% pour Marrakech ! « Avec un taux d’occupation aussi faible, notre ville est sinistrée », lâche un hôtelier qui rappelle les conséquences de cette situation : la fermeture jusqu’à ce jour d’une dizaine d’hôtels dont le New Belere fermé depuis juin 2009. En revanche, notre interlocuteur se félicite de la fin des travaux de rénovation et d’élargissement de la route nationale nº9 qui n’est plus aussi dangereuse qu’auparavant, offrant une circulation sécurisée et fluide.
Tutelle étouffante
Ce qui encourage de plus en plus de touristes à prendre la route de Tichka pour se rendre à Ouarzazate et découvrir ses environs, les gorges de Dadès, Todra, Zagora, Merzouga…Une route serpentant à travers les montagnes du Haut atlas en donnant à voir des paysages à couper le souffle formés de montagnes multicolores, villages pittoresques et oasis verdoyantes pour un trajet tout de même de près 3 heures 30 minutes. Ce qui est assez long alors que l’alternative existe, consistant en la construction d’un tunnel, qui tarde à voir le jour, via l’Ourika, le tracé retenu par le ministère de l’Équipement, permettra de réduire le temps du voyage de manière significative (80 minutes pour les voitures légères et 112 minutes pour les camions).
En attendant, les opérateurs de Ouarzazate réclament pour leur ville une stratégie volontariste fondée notamment sur une offre aérienne digne de ce nom, seul levier à leurs yeux pour conquérir de nouveaux marchés et augmenter les flux touristiques. Mais certains faits les confortent encore plus dans la certitude que Ouarzazate est la cible d’un complot du silence. Le dernier en date porte sur la répartition du budget programmé par le Conseil régional de Draa-Tafilalet lors de son assemblée ordinaire de mars 2025. La part réservée à Ouarzazate est de 8% contre 53% pour Errachidia et 23% pour Zagora ! Difficile de ne pas voir dans ce dispatching troublant une volonté d’asphyxier la ville et de la maintenir dans son état de sous-développement scandaleux en empêchant que soit libéré son potentiel de croissance exceptionnel ? Comment se fait-il que Ouarzazate, la cité à la lumière magique, mondialement connue grâce aux superproductions hollywoodiennes dont le fameux Lawrence d’Arabie qu’elle accueille depuis le début des années 60 reste enserrée dans ce carcan paralysant ? Cette marginalisation budgétaire, qui viendra aggraver la vulnérabilité déjà considérable des habitants de Ouarzazate, a été commise dans le sillage de la suppression récente de deux lignes, l’une reliant Ouarzazate à Marrakech et l’autre connectant Ouarzazate à Tanger inaugurée en mai 2024. Ce rééquilibrage dit stratégique, qui s’est fait au profit d’Errachidia, chef-lieu de la région, pénalise évidemment la belle cité du sud en aggravant son enclavement aérien.
A un moment où la ville revendique à bon droit une amélioration de la connectivité aérienne, voilà qu’on trouve le moyen de lui couper les ailes ! Alors qui à intérêt à maintenir Ouarzazate sous cette tutelle étouffante de plus en plus flagrante ? En un mot, qui a peur de Ouarzazate? Certainement ceux qui pensent à tort que son essor se fera au détriment de Marrakech et d’Errachidia!